éclairage philosophique #1 (Michel Foucault)

Dans « les mots et les choses » (1) , Michel Foucault décrit comment les codes fondamentaux de notre culture, notre pensée et les interprétations philosophiques sont conditionnés par un ordre muet et obscur.

(1) p 11-12

«Les codes fondamentaux d’une culture – ceux qui régissent son langage, ses schémas perceptifs, ses échanges, ses techniques, ses valeurs, la hiérarchie de ses pratiques- fixent d’entrée pour chaque homme les ordres empiriques auxquels il aura affaire et dans lesquels il se retrouvera. A l’autre extrémité de la pensée, des théories scientifiques ou des interprétations de philosophes (…). Mais entre ces deux régions si distantes, règne un domaine qui, pour avoir un rôle intermédiaire, n’en est pas moins fondamental : il est plus confus, plus obscur, moins facile sans doute à analyser.(…)

Il y a au dessous des ordres spontanés, des choses qui sont en elles mêmes ordonnables, qui appartiennent à un certain ordre muet. (…) C’est sur fond de cet ordre, tenu pour sol positif, que se bâtiront les théories générales de l’ordonnance des choses et les interprétations qu’elle appelle.(…)

Ainsi entre le regard déjà codé et la connaissance réflexive, il y a une région médiane qui délivre l’ordre en son être même, (..) si bien que cette région « médiane », dans la mesure où elle manifeste les modes d’être de l’ordre peut se donner comme le plus fondamentale : antérieure aux mots, aux perceptions et aux gestes qui sont censés alors la traduire avec plus ou moins d’exactitude ; (…) plus solide, plus archaïque , moins douteuse, toujours plus « vraie » que les théories qui essaient de leur donner une forme explicite, une application exhaustive, ou un fondement philosophique »

Cet ordre, qu’il nomme « épistème » conditionne notre pensée et notre capacité à savoir. La connaissance n’est plus l’accumulation des savoirs historiques mais une manifestation de cet episteme. Le savoir ne répond pas à une sédimentation des savoirs accumulés au cours du temps, ni des cadres de pensées d’une époque donnée, ni aux progrès de la raison. Cette épistème, que Foucault définit comme l’  « a priori historique », est la limite (propre à chaque époque) conditionnant la faculté de savoir et l’organisation des savoirs.

(1) p 171

« Cet a priori n’est pas constitué par un équipement de problèmes constants que les phénomènes concrets ne cesseraient de présenter comme autant d’énigmes à la curiosité des hommes ; il n’est pas fait non plus d’un certain état des connaissances sédimenté au cours des âges précédents et servant de sol aux progrès plus ou moins inégaux ou rapides de la rationalité; il n’est même pas sans doute déterminé par ce qu’on appelle la mentalité ou les « cadres de pensée » d’une époque donnée.

Cet a priori, c’est ce qui, à une époque donnée, découpe dans l’expérience un champ de savoir possible, définit le mode d’être des objets qui y apparaissent, arme le regard quotidien de pouvoirs théoriques, et définit les conditions dans lesquelles on peut tenir sur les choses un discours reconnu pour vrai. »

L’ « épistème », l’ « a priori historique », asservissent l’homme en conditionnant et limitant sa capacité à connaitre. Foucault affirme ainsi la finitude de l’homme.

(1) p324-325

« En un sens, l’homme est dominé par le travail, la vie, le langage : son existence concrète trouve en eux ses déterminations.(…)  Tous ces contenus que son savoir lui révèle extérieurs à lui et plus vieux que sa naissance, anticipent sur lui, le surplombent de toute leur solidité et le traversent comme s’il n’était rien de plus qu’un objet de nature ou un visage qui doit s’effacer dans l’histoire. La finitude de l’homme s’annonce – et d’une façon impérieuse – (…) on perçoit la finitude et les limites qu’elles imposent, on devine comme en blanc tout ce qu’elles rendent impossible.

Peut être qu’un jour l’homme ne trouvera plus dans son labeur le principe de son aliénation, ni dans ses besoins le constant rappel de ses limites ; et rien ne prouve non plus qu’il ne découvrira des systèmes symboliques suffisamment purs pour dissoudre la vieille opacité des langages historiques  …

Chacune de ces formes positives où l’homme peut apprendre qu’il est fini ne lui est donnée que sur fond de sa propre finitude. (…) le mode d’être de la vie, et cela même qui fait que la vie n’existe pas sans me prescrire ses formes  me sont donnés par mon corps ; le mode d’être de la production, la pesanteur de ses déterminations sur mon existence, me sont donnés par mon désir ; et le mode d’être du langage (…)ne m’est donné qu’au long de la mince chaine de ma pensée parlante. »

 

(1) « Les mots et les choses – une archéologie des sciences humaines  » Michel Foucault – édition Gallimard (1966) (poche)

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