éclairage philosophique #2 (Michel Foucault)

Et si comme l’affirme Foucault, l’homme est prisonnier de sa finitude, je perçois la méditation comme un moyen habile pour dépasser les limites imposées par le langage, mon histoire et l’histoire de notre société

(1) p 310

« Exprimant leurs pensées dans des mots dont ils ne sont pas maitres, les logeant dans des formes verbales dont les dimensions historiques leur échappent, les hommes qui croient que leur propos leur obéit, ne savent pas qu’ils se soumettent à ses exigences. »

(1) p 325

« Peut être qu’un jour l’homme ne trouvera plus dans son labeur le principe de son aliénation, ni dans ses besoins le constant rappel de ses limites ; et rien ne prouve non plus qu’il ne découvrira des systèmes symboliques suffisamment purs pour dissoudre la vieille opacité des langages historiques  …

Et contrairement au pessimisme de Foucault, j’ai l’intuition que la méditation – la connaissance intuitive qu’elle développe – participe à dissoudre ces vieilles opacités. Peut être est elle un système symbolique suffisamment pur ?

J’ai également l’intuition que la méditation permet de dépasser les limites de la pensée conceptuelle, de penser l’impensé.

Pour Foucault, penser l’impensé – « réarticuler la pensée avec ce qui lui est extérieur mais pas étranger »- c’est réconcilier l’homme avec l’impensé, et c’est le propre de la pensée moderne ( le cogito moderne).  Le cogito moderne de Foucault, comme la méditation, ne conduisent pas à l’affirmation de l’être , mais à une série d’interrogations où il est question de l’être « Quel est le rapport et la difficile appartenance de l’être et de la pensée ? ».

Avec ces interrogations, pour le philosophe comme pour le pratiquant de la méditation, le « je pense » ne mène plus à « je suis », mais à un espace dépourvu de langage. Pour Foucault, cet espace -l’impensé (ou l’inconscient)- capture et engage la pensée. Selon lui, approcher l’impensé, c’est réconcilier l’homme avec ce qu’il est afin qu’il puisse – peut-être –  se libérer. Mais pour le méditant, approcher cet espace, c’est voir et connaitre ce qu’il n’est pas et se libérer ainsi du poids de l’ignorance

(1) p 335

«(le cogito moderne)  il lui faut (…) parcourir, redoubler et réactiver sous une forme explicite l’articulation de la pensée sur ce qui en elle, autour d’elle, au dessous d’elle n’est pas pensée, mais ne lui est pas pour autant étranger, selon une irréductible, une infranchissable extériorité. Sous cette forme, le cogito ne sera donc pas la soudaine découverte illuminante que toute pensée est pensée, mais l’interrogation toujours recommencée pour savoir comment la pensée habite hors d’ici, et pourtant au plus proche d’elle-même, comment elle peut être sous les espèces du non-pensant.(…)Ce mouvement propre du cogito moderne explique pourquoi le « Je pense » n’y conduit pas à l’évidence du « Je suis » .(…) Puis-je dire que je suis cette vie que je sens au fond de moi, mais qui m’enveloppe à la fois par le temps formidable qu’elle pousse avec soi et qui me juche un instant sur sa crête, mais aussi par le temps imminent qui me prescrit ma mort ? »

(1) p 336

«Le cogito ne conduit pas à une affirmation d’être, mais il ouvre justement sur toute une série d’interrogations où il est question de l’être : que faut il que je sois, moi qui pense et qui suis ma pensée, pour que je sois ce que je ne pense pas, pour que ma pensée soit ce que je ne suis pas ? (…) Quel est le rapport et la difficile appartenance de l’être et de la pensée ? Qu’est ce que l’être de l’homme, et comment peut-il se faire que cet être, qu’on pourrait si aisément caractériser par le fait qu’ « il a de la pensée » et que peut être à lui seul il détient, a un rapport ineffaçable et fondamental à l’impensé. Une forme de réflexion s’instaure (…) où il est question pour la première fois de l’être de l’homme dans cette dimension selon laquelle la pensée s’adresse à l’impensé et s’articule sur lui. (…). Le cogito (moderne) a modifié sa fonction : (…) montrer comment la pensée peut s’échapper à elle-même et conduire ainsi à une interrogation multiple et proliférante sur l’être. »

(1) p337

« la pensée découvre en même temps, à la fois en soi et hors de soi, dans ses marges mais aussi bien entrecroisés avec sa propre trame, une part de nuit, une épaisseur apparemment inerte où elle est engagée, un impensé qu’elle contient de bout en bout, mais où aussi bien elle se trouve prise. L’impensé (quel que soit le nom qu’on lui donne) n’est pas logé en l’homme comme une nature recroquevillée ou une histoire qui s’y serait stratifiée, c’est, par rapport à l’homme, l’Autre : l’Autre fraternel et jumeau, né non pas de lui, ni en lui, mais à coté et en même temps, dans une identique nouveauté, dans une dualité sans recours. »

(1) p338

« (l’impensé) joue aussi le rôle de fond préalable à partir duquel l’homme doit se rassembler lui-même et se rappeler jusqu’à sa vérité. C’est que ce double a beau être proche, il est étranger, et le rôle de la pensée, son initiative propre, sera de l’approcher au plus prés d’elle-même ; toute la pensée moderne est traversée par la loi de penser l’impensé, – de réfléchir dans la forme du Pour-soi les contenus de l’En-soi, de désaliéner l’homme en le réconciliant avec sa propre essence, d’expliciter l’horizon  qui donne aux expériences leur arrière-fond (..), de lever le voile de l’Inconscient, de s’absorber dans son silence ou de tendre l’oreille vers son murmure indéfini. »

(1) 339

« l’essentiel, c’est que la pensée soit pour elle-même et dans l’épaisseur de son travail à la fois savoir et modification de ce qu’elle sait, réflexion et transformation du mode d’être de ce sur quoi elle réfléchit. Elle fait aussitôt bouger ce qu’elle touche : elle ne peut découvrir l’impensé, ou du moins aller dans sa direction, sans l’approcher aussitôt de soi – ou peut-être encore sans l’éloigner, sans que l’être de l’homme, puisqu’il se déploie dans cette distance, ne se trouve du fait même altéré. (…) La pensée, dans sa propre épaisseur, est un certain mode d’action. (…) elle blesse ou réconcilie, elle rapproche ou éloigne, elle rompt, elle dissocie, elle noue ou renoue ; elle ne peut s’empêcher de libérer ou d’asservir. (Elle est) un acte périlleux.(…) La pensée moderne s’avance dans cette direction ou l’Autre de l’homme doit devenir le Même que lui. »

(1) « Les mots et les choses – une archéologie des sciences humaines  » Michel Foucault – édition Gallimard (1966) (poche)

 

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