Episode 13 – Les derniers pas

Cette aventure m’a montré a quel point l’esprit est constamment changeant, capable de sauter d’un extrême à l’autre en un instant tout en maintenant l’illusion de la continuité. Je devrais dire l’illusion d’une identité stable et permanente. Il ne fait pour moi plus aucun doute que la vie n’est qu’une succession de tranche d’instants si proches les uns des autres qu’on ne peut croire qu’en leur unité, tout comme un film n’est qu’une succession rapide d’images.

La vie est un long fleuve d’intranquilité dont le courant suit le fil des passions. Mon séjour là-bas, et plus particulièrement la méditation ont apaisé ces passions et m’ont permis de porter un regard neuf et plus vaste. Alors quand je me regarde dans ce miroir, je ne célèbre plus la toute puissance de mon égo mais je vois un reflet changeant d’instant en instant. La magie du MOI n’opère plus car j’ai vu  tous les tours, et ce reflet sans substance ne me convainc plus. La désillusion fut parfois douloureuse, mais cette difficulté semble bien dérisoire quand les voiles tombent et que la lumière entre enfin.

Pour progresser sur la voie de la méditation, j’ai souvent dit qu’il fallait se porter au delà de soi, mais il s’agit finalement peut-être simplement de voir ce reflet pour ce qu’il est, et de porter enfin son regard au delà de ce miroir qui m’a si longtemps subjugué. Il ne s’agit pas de renoncer à soi au nom d’un Dieu, ou d’un dogme, mais plutôt de prôner la clairvoyance et la vigilance. Il s’agit de ne plus se mentir, ni de tenir coûte que coûte a poings serrées l’image de soi (que l’on s’est choisi), car c’est tenir aussi le poids ses souffrances. Cette dévotion aveugle à la gloire de notre égo contient en elle les germes de la souffrance du monde. Que sommes nos prêts à sacrifier pour préserver notre reflet ? Que sommes-nous prêts à faire pour ne pas voir la souffrance des autres, la maladie, la vieillesse et la mort qui nous rappellent trop brutalement notre fragile et éphémère existence? Tout !

Mon aventure là-bas ne m’a pas rendu meilleur, ni plus pur, elle m’a donné l’opportunité de ne plus m’agenouiller devant l’autel de mon égo, elle m’a offert de nouveaux choix sans m’obliger à trahir ce que je suis, elle ne me préserve de rien mais m’amène, sans contrainte, à assumer aujourd’hui chacun de mes choix car je ne peux plus dire que « je ne savais pas ». Je deviens l’héritier de mes propres actes, des actes portés par un nouveau souffle de liberté.

Et c’est en détachant son regard des ombres et des reflets de l’esprit que l’on perçoit alors librement le monde.

Rappel : les extraits de mon carnet de méditation sont écrits en noir et en italique

50 jours

19h45

Là non plus je n’avais pas envie d’écrire. Je suis toujours entre 2 eaux, entre ma bulle méditative et « le monde de demain ». Je vais bien, je suis en paix. Bien sûr, de temps en temps, la frustration pointe son nez et la lassitude affaiblit la vigilance offrant quelques espaces à la colère, l’envie .D’ailleurs, l’envie est la plus grosse souillure et elle se nourrit de l’illusion des jouissances à venir, dessinant autant de scénarios que possible. Donc, la journée n’est pas particulièrement riche. En fait je me pose la question de ce que veut réellement dire « pas particulièrement riche ». Je pratique (la méditation) de façon presque continue au cours de la journée, soit une quinzaine d’heures et j’en parle comme si cela n’était rien ou peu. Est-ce que je me rends bien compte de l’intensité de cette pratique ? Et surtout il est impossible qu’une telle journée soit peu riche ! 15 h de pratique par jour, à moins de couver un coussin de méditation (comme une poule couve un œuf), ça opère surement de profonds changements dont je n’aurai connaissance que plus tard. Cette note a pour but de relativiser l’impression tranquille d’un « petit tricotage méditatif » alors qu’il s’agit toujours, même à cet instant, d’un travail de fond que je n’ai pas l’intention de bâcler malgré les maigres fruits du jour.

Pour finir et être honnête je ne sais même plus si j’apprends, mais  j’ai toujours l’impression d’avancer. Peut être l’élan ? Je me demande à quel point cette aventure me change ?

51 jours

20h00

Bien-sûr, ce soir non plus je n’ai pas envie d’écrire. Je suis resté toute l’après-midi « scotché » au plancher des vaches. Je me suis surtout rendu compte à quel point j’avais envie, envie de tout, envie de rien, mais toujours envie. Envie d’hier, envie de demain et rarement envie de maintenant. Et c’est cette envie qui barre le chemin de nouvelles investigations. Je crois surtout que je suis à la recherche des dernières sensations extraordinaires (comme celles déjà vécues), je suis avide de ces expériences et je m’imagine à la porte d’une grande révélation, tout proche de l’élévation au rang de la bouddhéité  (Rien que ça !). L’envie (dont la non-satisfaction génère frustration et d’angoisse) utilise à merveille ma fragilité.

Comme j’ai pu l’écrire il y a longtemps, ressurgissent ici certaines des motivations avec lesquelles je suis arrivé au centre : l’envie. Et c’est cette même envie de fond, cette faim, qui resurgit aux moments de faiblesse, comme celui de la proximité du départ. En effet, comme l’a fait remarquer Sayadaw au dernier entretien, les souillures (l’avidité, l’ignorance, l’aversion,..) sont très patientes et ne disparaissent jamais, et je crois que les miennes, après avoir été « placardisées » (par la vigilance et la méditation), voient de nouvelles opportunités s’offrir à elles.

Il était utile de se souvenir à quel point mon aventure reposait sur des conditions très particulières, et beaucoup de ces expériences auraient été irréalisables hors de  cet environnement propice à la méditation. Ainsi, seuls les fruits de la connaissance ont pu passer la grille et le jour de la sortie il m’a fallu laisser derrière moi l’éclat des moments d’exceptions. Et si j’abandonnais non sans difficulté le goût du sublime, il me restait bien plus encore : le goût du savoir et la liberté qu’il procure.

Mais au milieu de tout ça, je vais bien et il va me falloir du temps pour tout digérer tant la leçon a été fructueuse. Mais je sais aussi que cette envie d’ Eveil va continuer, je parle de l’envie d’obtenir, d’être toujours plus, cette envie traitresse qui se dissimule facilement dans l’ombre des pas du quotidien. Je vais devoir porter une attention sage aux mouvements d’esprits qui vont suivre ma sortie.

Je vis cette journée sous le signe d’un certain équilibre, ce qui ne sous entend pas l’absence d’humeur ou de ressentis forts comme seul le désir peut en générer. Des envies d’interactions où tous les appétits du Moi seraient satisfaits. Des plus simples au plus scabreuses…

Je crois avoir déjà écrit les mots de fin il y a quelques jours, j’écris aujourd’hui ceux du début de la séparation. A l’équilibre entre 2 mondes.

52 jours

20h00

Et bien c’est la dernière soirée. La journée a été très tranquille, sur un rythme doux tout à fait propice à l’écoulement des derniers grains dans le sablier. Je crois que je n’ai jamais autant appris en si peu de temps et j’ai vu au cours de cette aventure se dessiner progressivement le profil de la liberté, de la libération, ou du moins le chemin y menant.

Quand le voile de l’illusion tombe, quand les passions s’éteignent par faute de carburant, quand la danse des MOI JE s’arrête, quand le silence et la sérénité reprennent leur droits, les murs de l’esprit disparaissent et le monde parait infiniment plus vaste. Quand ces murs tombent, un certain vide se fait d’abord ressentir ; mais ce vide n’est pas un espace désolé ni une contrée aride, au contraire il est riche d’un sens chaque jour plus grand. Un sens présent et palpable à chaque moment, que j’ai parfois décrit comme une rivière coulant au cœur de chaque instant. Une rivière qui se découvre quand les faux semblants s’écroulent, quand toutes les causes sont épuisées.

C’est incroyable de voir les stratagèmes utilisés par l’esprit pour rester le maitre du monde (qu’il a créé) : un simple son devient une histoire, qui à son tour génère envie ou angoisse, produisant de nouvelles pensées, modifiant le gout et la couleur des expériences suivantes. Des causes, des effets, et chaque effet conditionne de nouvelles causes pour un cycle sans fin et conduit comme un bateau ivre sans maitre à bord.

22h30

Voila peut-être les derniers mots. Je sors de l’entretien avec Sayadaw et j’ai l’impression de ne rien savoir tant la méditation met en lumière tout ce qu’il me reste encore à découvrir et à comprendre. Je ne sais vraiment rien, la preuve : Il y a trop de « je » dans toutes ces phrases.

J’ai vécu un voyage extraordinaire, un voyage immobile où j’ai pu voir le monde se façonner sous mes yeux. J’ai vu la mécanique complexe de l’esprit, mais j’ai surtout vu l’espace entre ses rouages, un espace dans lequel résonne une incroyable liberté. Mais tout ceci ne serait qu’une simple expérience parmi tant d’autres, si cette machinerie n’était pas à même de broyer les cœurs, de briser des vies, d’étouffer les esprits, autrement dit de recouvrir le monde d’un voile noir et rugueux.

J’avais pensé finir ce carnet avec la question de savoir si les oiseaux pleuraient en s’endormant pour tous les vols qu’ils n’ont pas pu faire ? Je me voyais déjà répondre que ce soir j’allais peut-être verser quelques larmes en m’endormant. C’était une si belle fin… mon égo chanté par un si bel élan poétique. Pfft !! Illusion romanesque !!

Mes pensées à ces derniers instants vont plutôt vers ceux qui souffrent, vers ceux qui aspirent à plus de liberté, car j’ai « découvert » à quel point l’esprit peut être un mauvais maître. J’ai vu comment se dressent les voiles obscurs de l’égo, j’ai vu la course frénétique des passions, j’ai vu l’extase et l’envie,  mais j’ai surtout vu qu’ils n’étaient porteurs d’aucune vérité car  c’est seulement derrière ces voiles que se trouve la source d’une infinie liberté. Je n’ai pas de l’intention de remettre en question ceux qui vivent dans le bonheur, mais plutôt de nourrir ceux qui ont une intuition ou une ambition plus grande que leur quotidien. Je veux rappeler à tous ceux qui « cherchent », mais aussi à tous ceux qui se sentent prisonniers de leur vie comme de leur souffrance que le monde est plus grand que ce que l’esprit en dit. Malheureusement je n’ai pas de recette miracle et je n’ai pas la prétention de croire que je sais ce qui est bon pour les autres, je préfère être ami plutôt que Guru. Par contre je sais à quel point mon aventure s’est montrée juste, à quel point elle s’est révélée riche et je préfère partager cette richesse ici plutôt que de pleurer sur ce qui ne sera plus sitôt la grille passée. Et j’espère inciter ceux qui font face aux doutes comme aux difficultés à ne jamais renoncer à leur liberté; une liberté plus proche que ce que l’esprit en dit, une libération à portée de main.

Il y a toujours une issue…

FIN

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Une réponse à Episode 13 – Les derniers pas

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