Episode 6 – Et la science infuse

La progression sur le chemin de la connaissance est une route tortueuse où chaque virage est l’occasion de délaisser les acquis d’hier pour mieux vivre chaque nouvel instant. C’est une route qui s’écrit et s’emprunte au présent et sur laquelle il faut sans cesse poser un regard neuf, car seule une vision dégagée des certitudes d’hier révèle l’éclatante vérité des instants du présent. Une fois de plus, c’est grâce à l’observation simple qu’apparaitra nouveau savoir, confirmant la justesse de mon entreprise.

A force de méditer, j’ai développé une vue plus vaste et plus précise de tous les phénomènes et des objets qui composent les expériences de l’esprit, une vision de leur dynamique et de leurs liens, de leurs danses incessantes. Cette danse, c’est le décor du « moi » (du  sentiment du moi – du sentiment d’existence), celui  qui permet d’affirmer avec aplomb « C’est sur, ça c’est moi ! ». Pourtant, ce décor change continuellement, d’instant en instant, sans pour autant ébranler nos certitudes « là aussi c’est sur, ça, c’est encore moi ! ».

Une succession de « moi » instantanés assemblés comme  une succession d’images pour un beau film. Un film que la méditation passe au ralenti, révélant la vue de chaque instant.

Le Moi à un instant

A chaque instant nos perceptions construisent le Moi, un Moi changeant sans cesse et perçu pourtant comme permanent ?


Rappel : les extraits de mon carnet de méditation sont écrits en noir et en italiques.

24 jours

Un objet, des objets, au milieu desquels se dessine le décor du Moi, la certitude du Moi, le sentiment d’existence. Puis les objets changent, apparaissent, disparaissent, entrainant de nouvelles modifications dans ce décor du Moi. Il apparait alors un nouveau décor, et du coup un nouveau « moi certain ». Mais quelque soit son évolution, ce « sentiment du moi » nous donne l’impression d’être toujours la même personne, alors que nous sommes à chaque fois différent.

Tous les objets observés pendant la méditation (pensées, sensations, ..) sont plus ou moins liés, et l’arrivée d’un nouvel objet entraine une réaction en chaîne se propageant d’instant en instant. J’observe ce décor du Moi, cette architecture mouvante distribuée au sein d’un si grand espace que chaque composant semble presque insignifiant.

Rien n’existe au-delà de l’instant, et chaque instant conditionne le suivant. C’est l’expérience de la connaissance (et non la connaissance intellectuelle) que je viens de vivre cet après midi.

Je vois COMMENT LE MONDE SE CONSTRUIT

Pour mieux comprendre l’importance que revêtent à mes yeux ces observations, je dois rappeler que le constat de l’impermanence de tous les phénomènes est l’un des fondements du bouddhisme, tout comme la réfutation d’un Moi permanent et stable. Je redécouvrais là-bas à quel point l’enseignement du Bouddha me semblait juste. L’intensité de ces instants reposait sur la découverte presque charnelle de cette vérité, montrant la différence qu’il y avait entre une connaissance théorique et un savoir vivant. Il est toujours difficile de décrire la force de cette révélation, et encore plus de décrire comment jaillit un sens derrière des observations aussi simples, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà vécu quoi que ce soit d’aussi vrai. J’ai posé ce jour la mon regard bien plus loin que je n’aurai jamais pu l’imaginer. En laissant tomber les voiles, j’ai été baigné d’une lumière inconnue jusque là.

MERVEILLE ! LE DHAMMA (l’enseignement du Bouddha) S’ ÉCRIT DEVANT MOI, IL VIENT A MOI, car quand je vois (les conditions de certaines illusions), je vois et je vis aussi le chemin de la libération.

La première révélation de la méditation, c’est le caractère changeant de la nature de l’esprit, sa nature impermanente. L’esprit est toujours bouillonnant, papillonnant sans cesse d’une fleur à l’autre, d’un centre d’intérêt à l’autre. C’est un singe fou, infatigable, sautant de branche en branche, d’objet en objet. Et je comprends mieux aussi comment ce sentiment du Moi, quand il s’assombrit,  peut conduire à de profondes souffrances, surtout quand il donne l’impression qu’aucune échappatoire n’est possible.

Ces expériences libèrent une puissante extase à laquelle il est bon de ne pas s’abandonner. Elle n’est ni plus riche, ni plus utile, mais elle anime une envie (source de difficulté à venir) de savoir.

Comme après chaque expérience forte (voir épisode 4 – Chaque médaille à son revers), les jours suivants ont été marqué par de grandes résistances.

25 jours

Les jours passent et ne se ressemblent  pas. Après une journée riche en investigations, celle d’aujourd’hui a vu sa cote de confiance s’effondrer

26 jours

2 journées dans la même.

12h00 L’agitation est montée crescendo, plaçant l’aiguille pas loin du rouge. Difficile de maintenir une investigation sereine avec un fond houleux.

16h00 J’ai plus ou moins retrouvé la dynamique d’investigation, distinguant  les interactions entre objets comme la vision d’un monde qui se modèle et se réinvente au même rythme. Un monde QUI SE FIGE DANS UNE IRRÉELLE DENSITÉ LORSQU’ON S’Y IMPLIQUE .

Quelle joie (et quelle humilité) d’avoir la chance de vivre une aventure où tout semble si juste. La force de cette expérience ne montre son sens qu’entre les objets (de méditation), du coup, je peux oublier hier, m’abstenir de penser à demain, oublier tous les concepts comme mes certitudes, je reste toujours prés et au contact de ce qu’il y a à savoir. Un savoir qui vient à moi, et non l’inverse.

27 jours

16h00

Je sens et je suis toujours ce fil qui marque un vrai changement dans ma pratique.

L’examen simultané des multiples objets renvoie chacun d’eux à sa simple nature (éphémère) d’objet,(hormis ceux auxquels je m’attache et autour desquels , alors, le mouvement incessant habituel se fige), et cet effet de « mise à plat » provoque une grande sérénité , un sentiment profond de liberté (plutôt de libération). Rien ici n’est atténué ou étouffé, les sentiments, les sensations sont toujours présents, voir plus vifs car saisis distinctement au lieu d’être noyés dans un brouhaha , tout comme il est plus facile d’entendre tomber une boite d’épingle dans une pièce silencieuse que dans une rue bruyante. Je fais cette précision car souvent la méditation est vue comme une éradication ou une fuite des sensations.

En s’intéressant plus aux processus qu’à la nature des objets, la méditation change profondément le rapport aux objets (bruits, sensations, sentiments). Les énergies folles s’apaisent et la pulpe tombe au fond du verre, laissant apparaitre un liquide cristallin. C’est ce que j’entends par « la connaissance vient à moi ». Ce liquide cristallin est celui dans lequel baigne chaque instant (agréable comme désagréable), on peut y étancher sa soif… Et c’est comme boire pour la première fois : Incomparable ! J’ apprends ce que je savais déjà en arrivant, la liberté, la libération sont en nous, au cœur même de notre esprit.

La sérénité est si grande que j’ai peur de quitter « cette ligne ». Mais ce mouvement d’envie, d’angoisse de perte, sont ceux avec lesquels je peux et dois encore apprendre.

NE PLUS ÊTRE TRIBUTAIRE (des objets) EST UNE LIBÉRATION SUPRÊME, UNE  CONNAISSANCE SANS ÉGALE.

21h00

Je goute encore à cette connaissance incroyable. CONTINUE, TES PIEDS ET TON CŒUR SONT SUR LA  VOIE

28 jours

8h15

Le fil n’est pas cassé ! mais des remarques importantes sont à faire :

ATTENTION A NE PAS S’ABSORBER OU SE FIGER DANS LE BONHEUR OU L’EXTASE, MAIS PLUTÔT DE PROFITER DE CE SENTIMENT PUISSANT POUR METTRE SON ÉNERGIE AU PROFIT DE L’OBSERVATION ET DE LA CONNAISSANCE.

JE NE PARTIRAI PAS D’ICI AVEC L’EXTASE (propre à des conditions trop particulières), MAIS AVEC LA CONNAISSANCE. Si je m’attache à l’extase, je vais tomber de haut à mon retour. JE SUIS ICI POUR LA CONNAISSANCE, PAS POUR L’EXTASE.

Il semble finalement plus juste de FAIRE CONFIANCE AU CHEMIN plutôt que de saisir avidement les gains et effets obtenus.

FAIS CONFIANCE AU CHEMIN PLUTÔT QU’AUX PIERRES QUI LE COMPOSENT

11h00

Ps : je reviens du café internet, j’ai l’impression d’être schizophrène ! Je me rends compte surtout de l’effet bulle.

20h00

J’ai perdu le fil de ces derniers jours. Je me rends compte qu’il faut arrêter de se saisir de la connaissance comme on se saisit d’une bouée. La connaissance est un phénomène vivant, dynamique et fluide, elle en peut ni grandir, ni s’enraciner si on la maintien dans une armoire. Au contraire, il faut la laisser s’émanciper toute seule, et d’une certaine façon, je suis retombé dans le piège de l’avidité. Il était caché au bout de l’extase.

Il faut que je sois vigilant et donc :

FAIS CONFIANCE A LA VOIE, PAS A L’ESPRIT (« trust the way, not the mind »), ce qui sous entend d’avancer à la lumière de la confiance plutôt qu’à l’appétit du gain. Je suis confronté à un nouveau type de difficulté, je suis arrêté, scotché à un état pourtant agréable et confortable.

Jusqu’à présent les difficultés rencontrées se manifestaient le plus souvent sous forme d’obstacle à la connaissance. Il semblerait que le virage amorcé par la pratique lors de ces journées, cette « mise à plat », ait permis de les dépasser, m’offrant enfin l’accès à cette source libératrice et tant espérée.

Cette source est une chose fragile, que l’on ne peut pas maitriser par la force de la volonté. Elle n’est qu’un indice, une invitation à aller plus loin encore sur le chemin de la liberté. Mais surtout, elle se tarit, s’efface et disparait quand on tente de la saisir. Et c’est ce que l’esprit a fait, obnubilé et affirmant sans cesse son intention d’y retourner,  puis souffrant de cette impossibilité.

Et quand l’esprit n’est plus un guide, il ne reste plus alors que la lumière de la confiance et de l’intuition pour avancer. C’était une situation difficile à vivre, dont le seul soutien se résumera à quelques mots :

FAIS CONFIANCE A LA VOIE, PAS A L’ESPRIT (« trust the way, not the mind »).

 

la suite au prochain épisode …

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