Episode 5 – Juste observe et disparait

Au cours des jours suivants j’allais apprendre que les choses les plus simples offrent l’opportunité de découvertes incroyables. A vouloir chercher trop loin, parfois on oublie les vérités qui se manifestent juste sous nos yeux. Pour ma part, et tout au long de ce séjour, j’aurai plus appris de mes erreurs ou de mes échecs, car ils auront eu chaque fois le mérite de me ramener au plus simple, à ce qui est juste là, devant moi. Ici et maintenant.

Rappel : les extraits de mon carnet de méditation sont écrits en noir et en italiques

18 jours

Mon esprit « glisse » sur les objets (sans pouvoir les observer), signe d’une certaine lassitude. Pourtant je me sens bien, mais lui là haut commence à patiner.

Journée peu gratifiante, où je me confronte à certaines limites. C’est un peu « patinage du cervelet » aujourd’hui. Pas beaucoup de jus de cerveau, la bête est un peu essorée. Ah oui ! J’allais oublier que cet état m’a mis dans une belle colère et j’aurais bien cassé mon banc de méditation sur la tête de quelqu’un

19 jours

Plus grand encore que les expériences racontées jusque là, je viens de comprendre le sens d’une expression simple, concernant la pratique

OBSERVE, C’EST TOUT !

JUST OBSERVE (en anglais !)

Au cours de la méditation, ce simple rappel (JUST OBSERVE) me guide vers une compréhension naturelle (et intuitive) des phénomènes observés.

Il n’est plus question alors d’hier, de demain, de progrès, de régression, d’empêchement ou de souillures. Toutes ces questions sont devenues inutiles et sans raison.

Tout se résume et se concentre dans l’instant présent avec JUST OBSERVE qui met tous les phénomènes en lumière et donc ouvre la voie d’une connaissance intuitive et libératrice, présente à chaque instant. Il n’est plus nécessaire de vouloir savoir, car le savoir est ici aussi présent et saisissable qu’une respiration.

J’ai conscience qu’il soit difficile de comprendre un sens plus profond à celui évident du JUST OBSERVE.

Il est difficile même aujourd’hui de décrire l’importance de cette « découverte ». La répétition des expériences, le développement d’une connaissance de plus en plus intuitive provoquent une certaine forme d’habituation puis de détachement. Un détachement qui n’est pas synonyme d’indifférence, mais plutôt une façon d’ouvrir plus grand les yeux et donc d’être touché par plus de lumière, une façon de voir plus loin que les jeux de l’esprit situés au premier plan.

A force de les observer, de les connaitre, les objets de la méditation « s’effacent », se fondent dans un plan plus vaste, dans un espace plus grand et plus riche, porteur d’un sens difficilement descriptible. Plus précisément, ce qui s’efface c’est l’attraction ou la fascination que ces objets exercent.

Ce « lâcher prise », ce recul naturel,  permettent de voir plus loin et d’appréhender de nouveaux espaces intensément riches .

C’est cette position particulière d’observation que j’associerai au JUST OBSERVE. Une position clef qui permet un détachement libérateur, un désenvoutement.

Si comme je viens de le décrire, la méditation permet des expériences d’exception (insight), l’esprit du méditant ne s’en sort pas toujours indemne. Après cette journée, je me couchais avec un sentiment d’accomplissement qu’une bonne nuit venait couronner…

Je me suis réveillé, plein d’énergie et certain d’avoir une passé une bonne nuit – Il est 20h49 – j’ai dormi 12 minutes !

Probablement le nuit la plus courte de toute ma vie ….Mais sinon, tout va bien… . Rendors-toi, ca ne va pas te faire de mal !

Comme je l’ai déjà dit, chaque médaille à son revers, et de façon systématique chaque avancée est suivie de résistances. Une progression en dents de scie consommatrice de beaucoup d’énergie.

20 jours :

Je ne sais pas s’il s’agit d’un nouveau type de résistance, mais après avoir observer toute l’après-midi l’avidité ( de renouveler l’expérience d’hier), mon esprit semble ne plus pouvoir s’intéresser à quoi que ce soit. Avidité obsédante suite à l’importance de la « découverte » du JUST OBSERVE.

21 jours :

Les journées semblent m’offrir plus de résistances ces derniers temps et malgré le jugement ( illusoire) global de difficultés, j’en apprends peut être plus que d’autres jours . J’ai « perdu » l’énergie de la compréhension du JUST OBSERVE, mais ces résistances m’amènent à chercher d’autres angles d’attaques d’où je tire de nouveaux savoirs. Journée marquée par un esprit difficile à intéresser et une sensation désagréable de blocage.

L’aventure de la méditation ne tient pas exclusivement à des expériences sublimes de l’esprit, mais prend parfois naissance dans la matière même du corps. En opposition avec la philosophie occidentale, le bouddhisme n’oppose pas le corps et l’esprit, mais les traite sur un même plan,   faisant du corps une base de connaissances aussi riche que l’esprit. Et certaines découvertes sont vécues de façon déconcertante.

23 jours

Au cours d’une séance de méditation assise, mes 2 avant-bras sont devenus très lourds et pour finir « n’étaient plus moi ». J’avais l’impression d’avoir deux cuillères au bout des coudes. Ces  2 corps lourds et vivants, fourmillants,  bien que posés sur mes jambes, ne faisaient plus partie de mon corps !. Mais le plus étrange reste à venir. (Au cours de cette méditation), lors de l’investigation des différentes parties de mon corps, l’esprit ne parvenait pas à identifier les 2 avant-bras dont je ressentais pourtant la lourde présence sur mes cuisses. A l’examen, il n’y avait plus rien après les coudes. Ils avaient disparu !

Je tiens à préciser tout de suite que cette expérience n’a rien de mystique, elle est une réponse de l’esprit quand il est soumis à certaines conditions particulières, et je vous rassure en confirmant que depuis mes avant-bras ont réapparus. Par contre, j’en ai tiré un enseignement important, pour ne pas dire essentiel.

En effet, la compréhension que l’on a de son corps ne tient pas tant uniquement à sa présence physique et matérielle (de peau, de chair, de sang, d’os, …) comme on en est persuadé, mais essentiellement à l’image qu’on s’en fait.

Contrairement à l’impression certaine de solidité, je découvre que l’idée de mon corps est aussi due à une représentation mentale. Quand on sait à quel point l’idée de son corps est importante dans l’image que l’on a de soi, mais aussi dans les rapports que l’on entretient avec les autres, cette « simple »réflexion amène à repenser la connaissance que l’on a de soi et du monde.

Quand on voit et quand on sait à quel point toutes les idées fluctuent selon les conditions (et donc l’idée de son corps aussi), on peut réfléchir à 2 fois avant d’affirmer « je suis ce corps et, ce corps est à moi », car il semblerait qu’il y ait autant d’idée de son corps qu’il y a de conditions différentes.

Ainsi, au cours de cette méditation, j’avais expérimenté 2 plans distincts, celui du corps et de ses qualités physiques (sa solidité, sa chaleur, sa cohésion), et celui propre  à l’idée que je me faisais de ce corps. Et lors de cette méditation, « l’idée de mon corps », cette représentation mentale s’était « modifiée » au point de ne plus correspondre aux sensations physiques.

Au-delà de l’étrangeté du ressenti, cette expérience souligne la dualité permanente entre « ce qui est » et « l’idée que l’on s’en fait », entre le signifiant et le signifié. Pour le bouddhisme, c’est l’ignorance de cette dualité qui est à l’origine de toutes les souffrances. Et c’est au creux de cette dualité que la méditation vient placer la lumière de l’attention, offrant l’opportunité de la libération par la connaissance. Et ce creux, parfois appelé vacuité,  présent au cœur de toutes les choses, n’est pas un grand vide mais un espace riche de sens et où la connaissance devient aussi intuitive qu’une respiration.

Je ne peux manquer de souligner ici de grandes similitudes avec la psychanalyse (le lien aux objets, le rapport entre le nom et la forme qu’il appelle,…), tout en rappelant que le bouddhisme ne propose pas de mieux vivre l’illusion, mais de la transcender pour une liberté inconditionnée (le nirvana) … à laquelle j’aspire … et que je cherche encore…

La méditation est une gymnastique mentale permettant le développement d’une hypervigilance à tous les phénomènes. Cette hypervigilance nécessite un effort initial important mais acquiert avec le temps un certain « élan », permettant  l’analyse des expériences selon les phénomènes (les ingrédients) qui la composent. Plus l’élan méditatif est grand, plus la capacité à voir des éléments subtils est grande. Et de cette capacité nait une nouvelle connaissance.

Mais le bouddhisme n’est pas une nouvelle explication du monde, mais « une pratique » visant à se libérer des fixations dans l’ignorance du Soi. C’est un outil, pas une finalité.

 

La suite au prochain épisode …

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