Episode 4 – Chaque médaille à son revers

Il me faudra plusieurs semaines pour comprendre que cette liberté intense qu’offre parfois la méditation, provoque une addiction qui devient un puissant obstacle à la progression.

La méditation offre des expériences si fortes que l’esprit ne cesse de vouloir les répéter. Ces expériences, appelées «  insight », sont le rendu vivant d’une connaissance. Elles sont les manifestations charnelles de cette liberté dont je parle si souvent, mais elles n’en sont que des manifestations.

Il est difficile de décrire ce qui ne peut être qu’expérimenter, mais concernant ces « insights » j’évoquerai dans mon carnet cette analogie:

Une longue marche dans la ville, c’est la nuit, et à mesure que la ville disparait, s’ouvre le spectacle d’un ciel étoilé. Nous avons tous le souvenir d’avoir contemplé une nuit ce ciel étoilé et d’avoir été saisi par la force de son infinie beauté.

Et parfois, lorsque je suis assis sur mon banc de méditation, les yeux fermés, il peut arriver que chaque instant me fasse éprouver, directement et sans limite, la force de cette beauté étoilée. Voila ce que pourrait être un insight, « voir l’univers en fermant les yeux».

Si ces expériences sont le signe d’une progression, d’une confirmation que le chemin emprunté est juste, elles doivent également être dépassées. Car la méditation ne vise pas à la réalisation d’expériences sublimes, seulement conditionnées à l’environnement qui les fait naitre, mais à l’obtention d’une connaissance menant à la liberté inconditionnée.

14 jours – Une connaissance fleurissante

« Une connaissance fleurissante ». J’aurais pu dire ça chaque jour, mais je crois que les choses prennent vraiment leur place aujourd’hui. J’ai trouvé « une place » où je peux installer assez confortablement mon esprit et laisser venir (plus ou moins) les objets (de méditation) jusqu’ à moi. Cette nouvelle tranquillité d’observateur n’est pas loin de ressembler à celle très forte, vécue, il y a une semaine et qui, faute de pouvoir la renouveler (surement le « trop vouloir ») a créé quelques difficultés et résistances.

Ces résistances semblent avoir lâché aujourd’hui, et je n’ai plus qu’à m’assoir (ou marcher), le reste se faisant naturellement.

Lorsque je marche, le contact du vent sur ma peau entraine une grande satisfaction, liée peut-être à une vigilance très avancée ou à une connaissance qui ne dit pas son nom. J’ai l’impression que cette nouvelle  sensation est intimement liée au Dhamma (l’enseignement du Bouddha). J’ai l’impression d’assister à l’éclosion d’une nouvelle connaissance.

Je me rappelle encore de ces sensations nées de ce contact du vent sur ma peau et ces quelques lignes relatent mal de leur intensité. Pendant plusieurs heures de méditation en marche, j’ai découvert un nouveau lien avec cet élément (le vent), un lien qui chante de lui même une symphonie captivante ; comme une plongée dans un nouvel univers plus vaste où les ressentis se vivent autrement.

15 jours – la fleur est fanée

Même ardeur au travail qu’hier, même approche, mais aucune connaissance car un réel blocage (se manifeste).

L’entretien du soir avec Sayadaw confirme que les yogis (pratiquants) ont de vraies difficultés avec l’avidité (vouloir progresser, vouloir revivre les mêmes expériences), et que l’équilibre avec l’esprit est difficile à trouver (difficulté proportionnelle avec l’intensité des expériences vécues pendant les méditations)

Le chemin du méditant est semé d’obstacles ou de difficultés nommés « souillures ». Les plus importantes sont l’avidité ou l’attachement, l’aversion, l’ignorance, la fatigue, … Et c’est pourquoi Sayadaw n’a cessé de rappeler l’utilité de pratiquer avec le bon effort ( « right effort ») et la bonne intention (« right intention) », présentés comme les deux guides indispensables à la progression. Il répétera à chaque entretien qu’il est nécessaire de s’interroger sur les conditions de sa pratique, et au cours même de son déroulement : Est-ce que je pratique avec le bon effort ? Est-ce que je pratique avec la bonne intention ?

Pourtant pendant la méditation, je n’ai pas remarqué de « souillure ». Il doit y avoir un problème avec le bon effort ou la bonne intention. Du coup, cette souillure m’a accompagné toute cette journée et n’a fait que s’amplifier.

NE PAS ŒUVRER SOUS LA CONDUITE D’UNE  « SOUILLURE »

QUAND IL Y A PLAISIR (au cours de la méditation) IL Y A ATTACHEMENT

16 jours – une journée très riche en terme de connaissances acquises

Elle a très mal commencé car j’ai été assailli par la somnolence et telle une marionnette à qui on coupe un fil, je piquais du nez avec régularité de 4 h à 16 h.

J’étais complètement dépassé (…)

A partir de 16 h, je ne sais plus trop comment, j’ai compris qu’il fallait observer et  intéresser mon esprit à tous les phénomènes et SURTOUT, suite à l’amélioration, OBSERVER L’EXTASE dès SON APPARITION POUR EVITER DE S’Y ATTACHER.

Ainsi, j’ai pu garder un équilibre très favorable à l’investigation où je percevais distinctement esprit et objets sans implication personnelle. Cette journée est marquée par un très riche enseignement sur l’unique but de chaque instant : OBSERVER, C’EST TOUT ! (« just observe ! »)

Elle est également marquée par une compréhension plus juste de mon « égo ». Je vois un être humain comme les autres, ayant gout de cultiver un soi « magnifique » et dont l’esprit joui de se voir si beau, avide de lui-même.

Au cours de ce séjour, je verrai régulièrement se dévoiler devant moi toutes les motivations et les ambitions avec lesquelles j’étais arrivé là-bas. Mais je parle surtout de l’envie, que je vais accueillir souvent, avec laquelle je devrai composer longtemps et lutter parfois.

Cet esprit n’a pas vocation à être changé, lavé, amputé mais à être vu et accepter tel qu’il est. Et c’est la première fois qu’un tel travail semble s’être effectué. Sans jugement et avec douceur.

Quand la souillure devient un mur infranchissable, le néophyte s’acharne à l’escalader quand le sage y voit un moyen de progresser.

Cette journée est également marquée par une observation claire des phénomènes où apparaissent distinctement objets (images, bruits) et l’esprit qui les saisit, et leur donne un sens, selon l’état dans lequel il se trouve (joie, colère,…). Il les colore à volonté

 

Un objet (pensées,..) Un objet « coloré » par un état d’esprit (colère, joie)


 

OBSERVER, C’EST TOUT ! (le reste vient tout seul !)

SE MÉFIER DES EXTASES, SATISFACTIONS D’UNE MÉDITATION SOI DISANT RÉUSSIE, CAR CELA MARQUE DES ATTACHEMENTS (VIA L’AVIDITÉ) QUI BLOQUENT LES INVESTIGATIONS SUIVANTES (impression erronée d’avoir trouvé un espace ou un endroit plus propice qu’un autre).

DÉRACINER CETTE SOUILLURE PAR L’OBSERVATION

RIEN N’EST DÉFAVORABLE, CAR LE MÊME ACCUEIL DOIT ÊTRE RÉSERVÉ AU BON COMME AU MOINS BON, A L’ AGRÉABLE COMME AU DÉSAGRÉABLE.

La méditation permet parfois de vivre des expériences « hors du commun » et je me souviens de la sensation merveilleuse que provoquait le simple contact du vent sur ma peau lors de la méditation en marche. Mais ces expériences sont si fortes que l’esprit devient obnubilé et n’a qu’un seul objectif : les vivre à nouveau. Il s’engage alors une lutte paradoxale entre l’envie de sensations sublimes et le détachement indispensable à la progression, une lutte usante qui devient un obstacle à la progression.

Méditer c’est se placer au cœur des labyrinthes de l’esprit et les parcourir autant de fois que nécessaire afin qu’une sortie se dévoile; une sortie que seule une observation attentive permet de découvrir. Chaque victoire repousse chaque fois un peu plus loin les limites de l’expérience méditative et donne ainsi l’impression de vivre au sein d’un espace plus grand. Mais, même avec des murs situés toujours plus loin, une prison reste une prison ! C’est pourquoi après l’extase de la victoire, il faut se remettre à l’ouvrage car on découvre bien vite que chaque labyrinthe débouche souvent … sur un autre labyrinthe. La progression se fait ainsi d’étape en étape, et chaque étape prépare la suivante.

 

La suite au prochain épisode…

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Une réponse à Episode 4 – Chaque médaille à son revers

  1. Aurélie (LuLett) dit :

    Merci de partager avec nous cette expérience et ce chemin de vie. Une leçon !
    Bises

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