Episode 3 – Désapprendre

Au cours de la première semaine d’installation, l’effort principal consista à calmer le corps et l’esprit, ainsi qu’à développer une vigilance et une attention de tous les instants. Autrement dit, mettre en place les conditions nécessaires et indispensables à une observation claire de tous les phénomènes.

La méditation propose d’observer plutôt que de prendre part, et c’est une situation si inhabituelle que chaque instant donne l’impression de remonter un fleuve à contre-courant. Refuser de se jeter dans les flots de l’esprit pour mieux l’observer et le comprendre, c’est le contraire de ce que j’ai fait presque chaque jour de ma vie.

A première vue, l’entreprise des semaines à venir semblait immense car pour comprendre plus, j’allais devoir observer et désapprendre ce qui a été construit et élaboré aux cours de tant d’années. Observer tous les phénomènes, c’est-à-dire tout ce qui se manifeste à l’observation et que l’on nomme aussi «  objets »

Les objets

Il n’est pas utile de courir après les objets, mais il faut plutôt les laisser venir à soi. Car ainsi on fait travailler les qualités naturelles de l’esprit, sans presque aucune fatigue, au même titre qu’on a juste besoin d’ouvrir les yeux pour voir et qu’il n y a rien à faire pour entendre. « On reste au centre » et on ouvre son champ de perception, sans s’y impliquer. Il n’y a que des objets et l’esprit

Désapprendre pour savoir ! Désapprendre pour laisser émerger naturellement une connaissance, c’est accepter de lâcher prise, de cesser de vouloir obtenir comme de juger. Une connaissance au cours naturel fragile, qui disparait avec l’intention ou la volonté de contrôle.

Rappel : les extraits de mon carnet de méditation sont écrits en noir et en italiques

10 jours

Une vaste plaine, traversée par un sentier. Voila longtemps que je marche et déjà mon rythme est régulier, mes pas battent la cadence comme un métronome. Mais si quelqu’un vient se placer près de moi, avec une légère avance ou un léger retard, dans un même rythme ou dans un rythme légèrement différent, ma propre cadence va être perturbée. Simplement parce que la présence de l’autre m’amène indirectement à m’interroger sur ma propre démarche, me faisant ainsi perdre mon aisance naturelle.

(Par l’intention de saisir, de juger les qualités propre de ma démarche), ce qui était naturel ne l’est plus. La méditation se présente comme le moyen d’une connaissance, mais elle ne se révèle que lorsqu’on cesse de vouloir (et de saisir).

Toute intention nuit au but qu’elle se réserve. C’est exactement ce qui m’arrive aujourd’hui, je perçois des espaces de connaissances (du moins j’en ai l’intuition), mais je ne peux m’y « abreuver » car je suis trop avide de réalisation.

DESAPPRENDRE A VOULOIR POUR LAISSER PLACE AU DEVELOPPEMENT NATUREL DE LA CONNAISSANCE

L’INTENTION NUIT AU BUT

La métaphore de la plaine et du sentier s’inspirent plus directement de la méditation en marche de ce soir dans le Dhamma Hall où la présence d’un yogi à mes cotés et marchant plus ou moins à la même vitesse que moi, a perturbé mon pas – illustration des résistances d’aujourd’hui

Cet extrait lève de nombreuses autres interrogations. Il illustre d’abord la perpétuelle interaction qu’il y a entre soi et le monde extérieur, et à quel point cette interaction conditionne, même pour les choses les plus simples, notre propre cours de vie. C’est à se demander quel part de liberté incombe au déroulement de notre quotidien, quel libre choix avons-nous si ce conditionnement est inévitable ?

La connaissance dont je parle émerge également d’une profonde investigation de ces relations et de leurs mécanismes. Elle nécessite une énergie que seul l’intéressement peut permettre de déployer, stimulé à la force d’incessants « pourquoi ? »

Le questionnement permet d’orienter et d’intéresser son esprit dans une direction particulière. La réponse est sans importance, seul le questionnement est un animateur de la connaissance.

Mais si l’esprit crie quand on lui prend ses jouets, il est encore plus virulent quand il doit rebrousser chemin, ou emprunter des voies qu’il a jusque là judicieusement évitées. Il se considère menacé, en danger et déploie tous les moyens pour se préserver d’un changement qu’il estime préjudiciable. Au même titre qu’une main évite le feu, l’esprit s’emploie « à éviter » ce qu’il considère vraiment comme une mise en péril.

Pourtant, à ce jour, jamais un méditant assis sur son coussin  ne s’est vu désintégré en une fine poussière, ni même tomber dans un coma profond. Le paradoxe entre un environnement protecteur et la certitude que l’esprit a d’un danger imminent, prend beaucoup de temps et d’énergie pour être dépassé. La conquête et la transcendance de ce paradoxe sont une lutte pas à pas et de chaque instant.

Méditer revient ainsi à engager un effort pour « se porter au-delà de Soi », mais c’est une avancée jonchée de résistances, de doutes, d’obstacles en tout genre

11 jours

Aujourd’hui, blocage du processus de connaissance. Impossible de dépasser une certaine profondeur, pour 2 raisons :

Un mécanisme de protection du Soi

J’ai trop l’intention, trop l’envie d’y parvenir

12 jours

Depuis 5 jours, mon esprit semble bloqué dans sa progression. Je crois qu’il y a une légère surchauffe.

13 jours

Toujours cette sensation de blocage et puis hop, plus de blocage ! Du calme, du contentement, de la joie. Changement radical en une fraction de seconde.

NE PAS SE LAISSER ABUSER PAR LES ETATS DIFFICILES A DENOUER. PATIENCE ! PRATIQUE !

Comment expliquer ce déblocage ?

– Aller au delà de soi

– Face à l’agitation, observer les phénomènes plutôt que de trop les suivre (s’y impliquer)

– Il n’y a pas de colère dans les objets (images, pensées, sensation physiques), mais uniquement dans l’esprit

Cette dernière réflexion est essentielle à la progression de la médiation. Il est nécessaire de comprendre les relations entre les états d’esprit (colère, angoisse, joie) et les objets de l’esprit (pensée, images,..)

Pour reprendre l’exemple de la colère, elle se traduit souvent par une forte tension corporelle, ainsi qu’une succession de pensées et d’images dopées par cet état d’esprit. Cette tension physique et ces représentations mentales (pensées, images,..) ne sont que des manifestations secondaires de la colère. Il devient possible de distinguer état d’esprit et  manifestations

La colère  génère et « colore » les pensées comme d’autres manifestations (crispation, tension), qui nourrissent à leur tour ce même état d’esprit. Ces interactions réciproques sont la base du dynamisme de tous les phénomènes et fonctions de notre esprit.

Un objet, une pensée, par exemple


Un objet « coloré », « teinté » par un état d’esprit , la colère

« Il n’y a pas de colère dans les objets (images, pensées, sensation physiques), mais uniquement dans l’esprit »

Un autre objet « coloré », « teinté » par un état d’esprit , la joie

Et ainsi de suite ..

Avant le méditation:

La méditation éclaire, puis décompose les phénomènes en leurs différents ingrédients

.

Ces « ingrédients » (pensées, images, états d’esprits, sensations physiques,..) et leurs interactions  sont naturels et inhérents à la nature de l’esprit. C’est une chose qu’il faut accepter sans juger, car il ne peut y avoir de liberté sans compréhension et surtout sans acceptation de sa propre nature. Il n’est pas question de devenir un autre, de se troquer contre un idéal illusoire mais de s’accepter en pleine lumière.

« The mind do his job »  (selon Sayadaw) (“ l’esprit fait son boulot”)  quand on ouvre les yeux, on voit ! Quand l’esprit est agité, c’est simplement sa nature du moment, c’est tout ! Inutile de vouloir qu’il se comporte autrement.

Quand cette compréhension est faite sienne, on ne dit plus « je suis en colère », mais « il y a de la colère »

Enfin, pas toujours…

Aujourd’hui, (pour ma première sortie) je me suis rendu au café Internet. J’ai traversé le village et ça sentait bon le seuil de pauvreté. Pour des raisons que j’ignore, je me suis rappelé l’expression très policée de « pays en voie de développement ». Cette expression est un cache sexe, un voile qu’ont dressé les pays industrialisés pour ne pas être écœuré par la vision de cette odorante misère. Je parle ici des conditions de vie et non des regards ou des échanges en comparaison desquels nos grandes cités font  penser à de magnifiques cimetières. Il y a plus de vie dans un mètre carré ici que dans tout Neuilly. C’est à se demander si ce ne sont pas eux qui ont dressé un voile pudique afin de s’épargner la vue déprimante d’un monde à venir prétentieux et froid. L’avenir est dans le passé ?

Cela fait 15 jours aujourd’hui. Et pourtant, les journées passent à une telle vitesse ! Sensation incompréhensibles car elles sont toutes identiques.

Face aux blocages :

Aller au delà de soi

Nommer simplement

Y a pas de colère dans les objets mais dans l’esprit

L’esprit fait son boulot ! C’est tout !

La suite au prochain épisode …

 

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