Episode 2 – L’installation dans une trés belle journée

Première journée « une très belle journée »

A peine réveillé (à 3h30), j’investissais pleinement ma nouvelle vie de « yogi » (pratiquant). C’est le Jour J, le premier d’entre tous et c’était aussi l’occasion de prendre des repères pour installer corps et esprit dans leur nouvel univers. Sans peur et sans reproche, avec ma modération habituelle,  j’avais choisi de calquer mon quotidien sur la feuille de route indicative :

3h30 réveil

4h00-5h00 méditation assise / 5h00-5h30 méditation en marche

5h45 – 6h…petit déjeuner

6h15 douche et thé vert dans ma chambre

7h00-8h00 méditation assise / 8h00-9h00 méditation en marche/9h00-10h00 méditation assise/ 10h00-10h30 méditation en marche

10h45 déjeuner

11h.. 13h00 lecture de textes anciens sur tasse de thé en chambre

13h00-14h00 méditation assise / 14h00-15h00 méditation en marche/15h00-16h00 méditation assise

16h00 pause, jus de fruit commun servi en extérieur, lecture en chambre

17h00-18h00 méditation assise/18h00-19h00  méditation en marche ou entretien avec l’Ajahn (l’Instructeur)/19h00 – 19h45 méditation assise

20h00-20h30 retour dans ma chambre, débriefing dans mon carnet, extinction des feux vers 21h

Méditer lors de ces premiers jours consistait surtout à calmer l’esprit et le corps, à rester juste dans l’instant présent, de façon à ne nourrir aucune agitation. C’était comme sortir la casserole du feu pour diminuer l’ébullition. Cela avait pour effet de ralentir les jeux de l’esprit, mais aussi de les mettre en  lumière. Le but du jeu étant de maintenir cette attention, cette vigilance, de façon continue, d’instant en instant.

J’essaie au cours de ces billets de donner un support visuel parce qu’il est parfois difficile d’expliquer ce que l’on perçoit au cours de la méditation. J’ai eu l’idée de cet  écran imaginaire où se projettent les expériences et effets de mes méditations. Chaque photo est un instant, un cliché de « l’intérieur ».

On appelle « objets » tout ce qui se manifeste dans le champ des perceptions : une pensée, des sensations du corps, des bruits …

Lors des premières méditations,  ce qui frappe d’abord, c’est le mouvement, la dynamique et le bouillonnement de tous les objets observés.: une pensée puis une autre, encore une autre, un bruit, une sensation du corps, .., . Frappant à la porte des sens, ils  apparaissent, rebondissent, s’entrechoquent, disparaissent dans une danse frénétique sans fin.

Avant la méditation : obscurité, agitation, inattention

 

Aprés : la méditation a pour effet de mettre en lumière les jeux de l’esprit …

 

….mais également de les ralentir

Rappel : les extraits de mon carnet de méditation sont écrits en noir et en italiques.

L’esprit est comme un enfant gâté, quand on lui retire ses jouets, il crie…longtemps ! Alors, pour qu’il accepte ces nouvelles règles,  il faut de la patience, de la douceur, de la détermination et beaucoup de temps. Mais de façon certaine, quand on cesse de l’agiter, « la pulpe finit toujours par tomber en bas», c’est juste une question de temps !

Aujourd’hui, beaucoup de méditation en marchant, j’essaie surtout de calmer l’esprit en le laissant se poser sur « l’ici et maintenant », en évitant d’être trop impliqué dans mes assez rares pensées, je suis là et je marche. C’est tout !

Par contre, dès que je m’assois pour méditer, mon don reprend le dessus et au bout de 10 mn, je m’endors systématiquement. Alors, aujourd’hui, j’ai beaucoup beaucoup beaucoup marché !

Je suis rattrapé par la fatigue, il est 19h00 et je suis déjà dans mon lit. Il va me falloir faire preuve de patience et ne pas m’inquiéter, ni vouloir trop vite méditer assis, car la fatigue génère beaucoup de confusion.

Patience, patience et calme. Laisse le corps et l’esprit arriver ici avant de leur demander plus d’effort. Laisse les choses se faire naturellement.

Deuxième journée, « une très belle journée »

La nuit précédente a été encore plutôt difficile malgré la tentative de se coucher tôt. Derrière la fatigue, beaucoup d’agitation. La méditation en marche se fait plus naturellement que  celle assise.

Le corps commence à s’habituer, l’esprit pas encore. C’était une très belle journée et je me sens moins fatigué.

Troisième journée, « une très belle journée »

Aujourd’hui, j’ai presque suivi la base de la feuille de route, accordant beaucoup de temps à la pratique. Je suis moins fatigué, mais une très légère tension crânienne se fait ressentir.

Pendant la méditation assise, encore quelques assoupissements, mais toujours beaucoup d’agitation et d’implication personnelle (Je suis souvent aspiré par le cours de mes pensées, passant du spectateur attentif à l’acteur absorbé par son jeu). Difficile d’être « mindful » (attentif, vigilant en anglais).

Quatrième journée, « une très très belle journée »

Il commence à y avoir des « espaces » de calme pour la méditation assise, permettant un abord plus simple, et donc, je suis moins « baladé » par mon agitation. Les journées passent vite, sans se ressembler, ce qui est étrange car leur déroulement est identique. Cela tient surtout au fait que je suis de plus en plus dans l’instant présent, où hier n’est plus et demain pas encore. L’« Ici et maintenant ». Je ne sais pas quel jour nous sommes ?.

Mes nuits sont toujours inachevées !

Calme, patience, douceur pour soi. Privilégie une avancée naturelle et adaptée aux capacités du jour.

Cinquième journée, « une très très belle journée »

L’attention et la vigilance s’installent, grappillant de plus en plus d’espaces. La méditation assise gagne de plus en plus en stabilité (l’esprit est plus calme, plus clair, plus apte encore à observer), malgré un assoupissement tout proche ou juste consommé. Les choses prennent leur place en douceur, et j’espère assurer ainsi une base solide (pour les observations à venir)

Sixième journée, « une très (1 seule fois !) belle journée »

J’essaie de forcer mon esprit à être vigilant (mindful, en anglais) et non agité, je veux atteindre un état, et bien sur, ça ne marche pas ! Le tout sur un fond de fatigue non réglé. Fin d’après-midi difficile !. (La notion) « difficile» ne tient qu’à une mauvaise interprétation, car il n’y a pas de facile ou difficile, mais des expériences différentes. J’étais très focalisé sur l’idée d’un résultat et je n’ai pas vu la situation dans son ensemble.

Attention au jugement de valeur sur la qualité des journées. NE PAS S’EFFORCER, mais en douceur, laisser libre cours au naturel

Le soir : Première interview en petit comité avec Sayadaw U Tejaniya

Il est débonnaire, drôle, moqueur, détendu. Il apporte des réponses simples, précises, lumineuses aux questions les plus complexes.

Un bureau d’écolier, chargé de brochures à distribuer. Lui, sur sa chaise adossée au mur, désigne les uns et les autres de la pointe d’un éventail fermé.

Petite anecdote et histoire racontée par une participante (et que j’ai également vécue) :

Le matin de 9h à 10h, pendant la méditation assise, Sayadaw donne un enseignement, en Birman, relayé par des haut-parleurs dans le hall de méditation. Un enseignement dont j’ignore tout jusqu’à la fin. C’est un exercice supplémentaire que de méditer sur un flot de paroles inconnues, mais qui finit par devenir (les bons jours !) un fond rythmique et psalmodiant, un chant presque envoutant.

Cette participante raconte qu’un matin, bercée par cette voie qu’elle ne comprend pas, elle plonge dans un véritable assoupissement. Mais lorsque Sayadaw énonce quelques phrases en anglais, sa surprise est si grande qu’elle s’éveille instantanément.

En un instant, elle est passée d’un extrême à l’autre, d’une réalité à une autre

Quelle était la réalité de cette torpeur ? Chaque réalité dépend elle de conditions ? Existe t-il autant de réalités qu’il y a de conditions ?

Au delà de ces simples interrogations, un monde de pensées émerge, et c’est ce monde que j’entreprenais d’expérimenter.

Existe-t-il une réponse commune à la somme de toutes les individualités ? Existe-t-il une individualité solide et invariable, traversant le temps et l’espace comme un train sur ses rails ? Suis-je le même qu’il y a 10 ans, 5ans, une semaine, hier ? Suis-je le même et un autre à la fois ? Peut-on « être » ?

Pour l’heure, l’enseignement principal, c’est qu’il est utile d’intéresser l’esprit pour éviter la léthargie.

Je me rendais compte du non-sens à donner toujours le même titre à chaque « très belle journée » : c’était  la fin des titres donnés dans ce carnet à chacune des journées.

7ème journée

Bien que cette nuit ait été un peu meilleure, elle fut malgré tout coupée comme les autres. Je suppose que toutes les formations inconscientes qui profitent habituellement de l’ombre sont frustrées de ne pouvoir prendre forme la journée à cause de l’attention (mindful, en anglais) continue qui met tout en lumière. J’imagine que la nuit, dès l’extinction de la vigilance, le carnaval des ombres sort en fanfare, avec les « bêtes » (Pascal et Jean Claude) en tête de parade.

Malgré une véritable adaptation naturelle à ces nouvelles conditions, je ne suis pas encore « posé ». L’apparition d’une certaine tension crânienne et la fatigue me laissent une marge de manœuvre très réduite. C’est pourquoi, malgré d’évidentes dispositions naturelles, il faut tout faire avec douceur, et toujours voir l’ambition d’une réussite ou d’une finalité à atteindre pour ne pas y céder.

La vérité n’est pas un état, elle est dans tous les états. Et je sais déjà qu’il n’est pas nécessaire de partir en Birmanie pour l’appréhender, car elle ne se trouve nulle part sinon en moi. Partir pour savoir à quel point ce n’est pas nécessaire? … Enfin, ici je développe surtout un outil (de connaissance).

Constat :

Voilà, c’est ma première semaine. Je suis arrivé ici dans des conditions psychologiques et physiques très moyennes. Les préparatifs du départ, les heures tendues, les séparations, l’arrivée à Yangoon, les insomnies, la tension montante auraient pu être un terrain favorable à l’explosion en plein vol. Elle n’a pas eu lieu !

Mon esprit façonne de jour en jour, un refuge de plus en plus confortable d’où il peut observer tous les phénomènes, mais je sens une certaine fragilité qui pourrait facilement mettre à mal un certain équilibre, au risque d’être « submergé » par certains états d’esprit.

Quant à la méditation assise, il m’a fallu plusieurs jours pour initier un certain élan et aujourd’hui je peux laisser se poser naturellement l’esprit sur sa zone d’équilibre (son refuge), bien qu’elle soit encore fragile.

A force d’essais répétés, l’esprit s’habituait à ce nouvel exercice et à cette nouvelle situation. J’avais besoin de moins en moins d’efforts  pour atteindre un calme et un équilibre aux fondements de plus en plus solides ; et mon attention renforçait chaque jour son acuité. Le « train méditatif » était lancé, il prenait chaque jour plus d’élan et de confiance. On parle aussi de « snowball effect », ou effet boule de neige.

Cet équilibre construit à l’énergie de plusieurs heures, voire de jours, pouvait s’effondrer (dans l’instant) en cas de submergement par certains états d’esprits (colère, désir, lassitude, doute,..).Et seule une vigilance continue pouvait l’en préserver. Je devais rester cet observateur attentif plutôt qu’acteur passionné.

Il fallait remettre mille fois son ouvrage sur le métier avant d’obtenir une base solide et un calme profond, indispensables à une plus grande connaissance tirée de l’observation. Une progression usante, en dents de scies.

Calme, concentration, … débordement, nouveau départ.

Calme, concentration, … débordement, nouveau départ.

Calme, concentration, …et parfois …la lumière !.

J’évite à tout prix la suractivité car la fatigue est une redoutable « souillure », ouvrant les vannes à toutes les autres.

Une souillure est le nom que l’on donne à toute perturbation, tout empêchement à l’obtention d’un esprit calme, vigilant et clairvoyant.

Malgré, parfois, l’envie d’obtenir (qui est aussi une souillure), j’essaie de faire que la progression soit la plus naturelle possible. La méditation en marche est ce qui se fait le plus simplement. Il faut dire qu’à ce sujet les instructions sont simples : marcher sans se laisser aspirer par aucune pensée ou état d’esprit. Marcher en étant simplement attentif, ici et maintenant.

Je progresse dans le maniement de cet outil – la méditation – bien que je me sente encore proche d’une certaine fragilité-fatigue. Il me faudra donc beaucoup de patience et de douceur, comme d’acceptation de mes limites pour encore progresser. J’espère ne pas me laisser déborder par certains états d’esprits afin de marcher sur la Voie Médiane, refusant les pièges de l’esprit, affirmant la volonté de liberté.

DOUCEUR, RECONNAITRE SES LIMITES, NE RIEN ATTENDRE (pour que tout arrive)

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