Episode 8 – Le grand désenvoutement

Après la grande difficulté des précédentes journées passées au centre (épisode 7 – la photo), je ne croyais pas que la marche méditative reprendrait son cours aussi facilement. Mais en voyant comment les obstacles s’étaient évanouis, j’en venais presque à douter de leur réalité, car si la souffrance qu’ils avaient engendrée ne faisait aucun doute, les causes me faisaient parfois penser à un mauvais rêve. Un mauvais rêve dont nous tire parfois la méditation, laissant seulement subsister les traces d’une nuit agitée comme une souffrance orpheline.

A force de persévérance, après plusieurs semaines et de nombreux échecs, j’accueillais maintenant toutes les expériences, qu’elles soient merveilleuses ou difficiles, avec la même sérénité. C’est à partir de cet instant qu’a grandi progressivement l’arbre de la compréhension car il n’était plus renversé par le souffle des passions. Et la méditation continua sa marche libératrice au cours de laquelle chaque pas, quel qu’il soit, nourrissait le suivant.

L’esprit, par nature, ne cesse jamais de vouloir saisir ce qu’il apprécie ou de rejeter ce qu’il juge désagréable. Par conséquent, Il faut toujours beaucoup de patience et de détermination pour rester clairvoyant et accepter sans juger tout ce qui se présente à soi (pensées, sensations, peur, doute,..). Mais rester vigilant nécessite de cultiver un intérêt constant et parfois de se remotiver (pas toujours tendrement).

35 jours

Cette libération s’installe progressivement, mais mon esprit est comme un enfant à qui on a pris ses jouets, il affiche une mine boudeuse même devant le plus beau des gâteaux.

(…) Je me suis passé une sévère (et juste) remontée de bretelles. Après plusieurs semaines (de méditation) et autant d’efforts , je suis « fatigué » de me voir aujourd’hui frissonner devant une petite angoisse et l’oppression thoracique qu’elle provoque, sachant qu’il suffit de regarder la nature de cette angoisse (nature fluctuante) et de comprendre que le problème tient surtout au lien que j’entretiens avec elle. Pourtant, cette sensation au niveau de ma poitrine bloque toute progression alors qu’elle est plus simple et plus légère que l’inconfort de ma position assise de méditation (inconfort qui m’indiffère complètement).

Il a fallu préciser que je n’étais pas venu ici pour faire le beau, ni ma Diva devant cette pauvre petite oppression thoracique, mais pour mieux appréhender la nature de mon esprit et trouver la voie de la libération.

Je me rappelais alors une expression de Sayadaw, glanée un matin lors d’un enseignement en birman :

On ne peut pas avoir ce que l’on désire, mais on peut obtenir les fruits de ce que l’on fait

(WE CAN’T GET WHAT WE WANT, WE CAN GET WHAT WE DO)

Cette expression m’a rappelé qu’il était plus utile d’agir dans le présent que de vouloir faire des plans pour l’avenir. Le passé n’est plus, le futur n’est pas encore, et seul l’instant présent est réel.  Le futur s’écrit par la plus simple de nos actions dans le présent, alors :

JE PLONGE MAINTENANT (dans l’instant présent) AVEC CE QUE JE SUIS, ET J’APPRENDS DE TOUTES MES FORCES.

36 jours

Les journées sont de plus en plus posées, sereines et paisibles. Je gagne en densité et les bases semblent de plus en plus solides et étayées. Un vrai calme s’installe, mais l’esprit est toujours en manque de ses jouets habituels ce qui génère de l’inconfort, et parfois une certaines angoisse. Cette angoisse qui a été (trop) longtemps comme un caillou dans ma chaussure, est une fenêtre par laquelle peuvent entrer les « souillure » (les obstacles à la méditation). C’est une sorte de talon d’Achille, mais avec lequel je me débrouille de mieux en mieux. Car il ne s’agit pas de la faire disparaitre, mais au contraire de l’accepter SANS entretenir de liens « souillants ».

Ainsi, petit à petit, ce nouvel état s’installe toujours plus sûrement, mais l’esprit a toujours plus d’un tour dans son sac :

15h00 L’orgueil

Pendant la méditation en marche mon esprit me répète à loisirs l’ennui de la situation et me souffle qu’on dirait un film déjà vu et revu. Un film où j’aurai déjà tout compris, tant il est aisé maintenant de voir s’élever pensées et autres objets, comme un gymnaste répétant mille fois la même série. J’en étais presque amené à poser la question à Sayadaw : « Mais qu’est ce que je fais maintenant ? ». J’étais déjà le parfait méditant arrivé au bout du chemin, travaillant sans effort à voir le monde tel qu’il est. Condamné comme dans un jour sans fin, à errer dans les sphères de l’excellence J

16h00 – méditation assise

Je m’intéresse vraiment à l’apparition des pensées et à leur succession, mais je me trouve trop souvent impliqué (manque de recul, d’équanimité). L’idée me vient alors de regarder et suivre les mouvements des objets (pensées, sensations,..) plutôt que leurs contenus. Après quelques instants, ma respiration s’accélère vivement et mon esprit tournoie clairement autour de tous les objets de méditation.

Apparait enfin la valse des objets et avec elle la valse de l’idée de Moi (voir épisode 6 – Et la science infuse), car chaque situation impose une nouvelle impression du Moi. Un nouveau son, une nouvelle pensée, une nouvelle sensation corporelle, et l’idée que j’ai de moi change. Une sorte de « Moi caméléon », changeant selon les couleurs du fond, d’instant en instant. C’est comme si, assis au milieu d’une pièce, les murs changeaient de place, de couleur, de hauteur, me donnant tour à tour l’impression d’être enfermé ou perdu dans l’immensité, d’être tendu par des couleurs oppressantes ou apaisé par des reflets chaleureux.

Quoi qu’il en soit, je vivais avec une très grande intensité (et le souffle court) ce Moi changeant d’instant en instant, jamais identique. Je vivais l’impermanence de toute chose, je la comprenais autrement qu’intellectuellement, je la voyais et la saisissais d’une façon nouvelle. Je voyais la base du monde de l’esprit, une base mouvante et sans consistance. Je voyais derrière l’apparente uniformité les mouvements incessants du Moi, du monde des sens et de l’idée que je m’en faisais. Il n’y a personne derrière tout ça, juste des volutes de fumées, voilà l’autre constat.

« Il n’y a personne derrière tout ca » signifie que Tout étant soumis à un perpétuel changement, il n’y a pas d’identité constante, d’essence propre, car d’instant en instant rien ne subsiste au cœur des choses. On emploie souvent une métaphore pour décrire cette découverte : à force d’éplucher un oignon couche par couche, on finit par découvrir qu’il n’y a rien en son cœur. Il n’y a pas de noyau au cœur du fruit, c’est le sens du mot « vacuité ».

Ces instants vides d’une essence propre, ne révèlent aucune nature sinon celle de la vacuité, le monde s’écrivant et se renouvelant d’instant en instant. Un vide qui s’écrit d’instant en instant ! Et seul celui qui y goute lui invente un aspect, une texture, un goût, un sens.

J’ai réussi pour la première fois de ma courte carrière de méditant à répéter 3 fois cette même expérience méditative (de compréhension) à une heure d’intervalle. C’est tout à fait incroyable ! Je suis toujours surpris de voir comment se manifeste la libération, je m’attendais à voir quelque chose apparaitre (comme par exemple l’éclair d’une révélation) mais elle se manifeste surtout en faisant tomber les voiles de l’illusion. Les choses se dénudent plutôt qu’elles ne m’apparaissent. Cette nuance me surprend encore.

Il n’y a rien à part une succession d’instants.

C’est UN DÉSENCHANTEMENT MERVEILLEUX ET PROGRESSIF

37 jours

5 h du matin :

«  il n’y a rien à part un succession instants » (je vis encore ce matin les mêmes expériences qu’hier)

La lecture matinale de quelques pages venait encore enrichir ces expériences (Jack Kornfield – Etre une île) : Un esprit épanoui est un esprit qui voit tout dans un contexte universel. Tout ce qui existe est universel, car il n’y a rien d’individuel.

Quand je dis « qu’il n’y a rien à part une succession d’instants », cette compréhension intuitive plutôt qu’intellectuelle « m’élève » avec une incroyable intensité (j’en ai le souffle court et haletant)

11h15

Les médiations jusqu’à 7 heures ont été faite d’une matière incroyable.

Mais à 8 heures, lors de la méditation en marche, une très forte envie se manifeste et fait jaillir une multitude de pensées et de scénarios en tout genre pour les satisfaire. En voyant cette agitation, je suppose que la méditation suivante va être compliquée. Résultat garanti !

Pendant la médiation assise suivante, je ressens la souffrance de l’insatisfaction comme je ressens également l’angoisse de la séparation d’avec ce qui est aimé, désiré (c’est-à-dire les expériences précédentes).

Pour mesurer l’importance que revêtent pour moi ces instants, il me faut rappeler que le bouddhisme révèle les 3 caractéristiques fondamentales de tous les phénomènes :

« Il n’y a rien à part une succession d instants » ou l’impermanence de toutes les choses, « Il n’y a personne derrière tout ça » pas plus qu’il n’y a de noyau dans un oignon, et «  l’insatisfaction » liée à l’impermanence, car rien n’est acquis définitivement, pas même la vie ! ce qui n’empêche pas de tout vouloir pour soi et pour toujours. L’envie étant présentée alors comme la source principale de l’insatisfaction ou de la souffrance.

Ainsi au cours de ces journées, il n’était plus question de concept, de croyance, d’idée mais d’une vérité qui prenait vie jusque dans ma peau. Elle se manifestait au creux de chaque expérience, et je découvrais que la vacuité ne signifiait pas l’absence de sens. Tout devenait juste, et c’était un sentiment d’accomplissement puissant.

Je vois la souffrance et son origine (je les vois autrement qu’intellectuellement, je les vis, j’expérimente ces vérités). C’est incroyable ! Je vois l’impermanence, je vois qu’« il n’y a personne derrière tout ça » et je sais que :

« Chaque fois qu’il y a, surgit la peur qu’il n’y ait plus » (compréhension acquise pendant la méditation).

INCROYABLE ! Et quand on voit l’origine de la souffrance (celle liée au désir, mais aussi à la mauvaise compréhension de tous les objets fondamentalement impermanents et saisis douloureusement comme permanents), on voit aussi sa cessation et le chemin menant à sa cessation (…)

Je ne vois pas ce que je peux dire de plus, sinon que le chemin est là. Et si à cet instant je ne suis pas vraiment libéré, je n’ai jamais été aussi libre.

19h45

L’après midi fut tout aussi étonnante, mais je m’inquiétais un peu de voir apparaître maintenant à chaque début de médiation une émotion intense associée à une respiration haletante sans que je puisse en comprendre la cause. Il s’agissait peut-être de l’empreinte des grandes émotions de ces derniers jours, un résidu d’extase.

Ainsi donc j’étais poursuivi par l’extase J , et je me voyais déjà solliciter l’aide de Sayadaw pour lui dire : « Sayadaw, mon problème est que je suis trop heureux » Rigolade assurée ! Ces réflexions m’ont permis de reprendre un cours plus normal malgré une légère persistance du problème.

38 jours

7h00

Je n’ai jamais été aussi heureux, un bonheur simple et sans condition.

Il y a toujours des pensées, des implications du MOI du JE, des « souillures », mais le fond fait écho à une harmonie que je ne saurai décrire.

Un bonheur d’une simplicité désarmante. Un instant, et au milieu coule une rivière. Tout devient simple et clair.

12h00

Simple ne veut pas dire facile. Je saisis de mieux en mieux le sens de cette intensité, j’ai l’impression d’être proche d’une connaissance qui nécessite de lâcher prise. Seul l’effort juste, l’attention juste, la compréhension juste préparent le terrain à chaque nouveau pas, mais l’esprit résiste et ne veut pas céder.

16h00

Les 2 premières heures ont été difficiles face à l’omniprésence de ce souffle haletant intense et oppressant, face à l’agitation et à l’aversion se développant à son encontre. J’ai été presque débordé (parfois complètement) et l’effritement de mon nouvel équilibre (acquis avec tant d’efforts) a généré beaucoup de colère.

(Me rappelant l’épisode de la photo), j’ai su que c’est le lien que j’entretenais avec ce souffle qui posait problème, car dans sa nature propre il ne s’agissait que d’un mouvement d’air dans ma poitrine. Il a fallu trouver l’énergie pour l’accepter tel qu’il était, un objet parmi tant d’autres.

Au cours de la méditation suivante, replacé à sa juste valeur, ce souffle a finalement repris son cours normal. Cette disparition soudaine (de la forme haletante et oppressante) a entrainé un certain dégoût pour les mouvements de l’esprit et leurs tendances « piégeuses ».

La reprise d’une méditation plus profonde montre une fois de plus la nature éphémère et changeante du monde de l’esprit.

Toutes les expériences et interactions sont aussi consistantes que le souffle du vent entre les branches d’un arbre. A la seule différence qu’ici, le bruissement des feuilles capture et captive l’esprit aussi sûrement que le chant d’une sirène. Le désenchantement est parfois pénible, car il met en avant l’incontournable constat du vide, du vent sur lequel s’appuient toutes nos intentions.

Les optimistes diront qu’il est magnifique de pouvoir faire autant avec un simple vent, les croyants y verront le souffle de Dieu, les nihilistes une raison de s’adonner pleinement aux plaisirs de notre bouillonnante nature, quant aux pessimistes ils y verront une raison de mieux tout détester. Pour ma part, j’y vois l’occasion de déployer mon esprit au-delà des illusoires limites qu’il tend pour mieux assoir sa vanité en oubliant sa nature de vent.

Pour finir et pour être honnête, à cet instant, le désenchantement est pénible car il est difficile d’accepter que tout ce à quoi je crois repose sur si peu – une souris qui porte le monde – Mais on ne peut avancer en détournant le regard, et je reste vigilant pour ne pas me laisser piéger par une aspiration déprimante que je vois déjà rôder.

Quand on voit combien de souffrances peuvent naitre de si peu, cela incite à la compassion pour soi et les autres.

20h00

La difficulté rencontrée, et surmontée, renforce ma capacité à mener encore plus loin cette aventure. Je suis serein et fort d’une nouvelle densité. Bien qu’elle fut moins aisée, c’est une journée d’une très grande richesse.

Ah oui ! C’est le réveillon. (l’année écoulée est indiscutablement une) Bonne année 2010

 

La suite au prochain épisode…

 

 

 

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