Episode 9 – Le conflit

Emporté par mon propre élan, je marchais chaque jour sur le chemin d’une connaissance qui se montrait sans limite. Et à ce stade de mon aventure, après tant d’instants d’exceptions et d’intense compréhension,  je me sentais gratifié au delà de mes espoirs les plus fous. Mes journées étaient si riches de rebondissement, si diverses, qu’elles me poussaient au-delà de mes capacités, me forçant à trouver chaque fois de nouvelles ressources.

J’étais comme un nageur solitaire au milieu d’un océan de connaissances porté par les flots et nageant toujours un peu plus loin. Et je comprenais mieux chaque jour ce que signifiait « se porter au-delà de soi » : c’est s’aventurer au-delà de l’îlot de ses certitudes, accepter de voir s’éloigner les rivages du monde connu pour laisser chaque instant se révéler, ici et maintenant. L’horizon était sans limite, et il n’était plus question alors du passé, ni de l’avenir.

Ce chemin n’est pas sans difficultés car il faut accepter de se défaire des repères qui soutiennent notre identité, notre caractère, notre histoire  et comme je l’ai déjà dit « l’esprit  est encore plus virulent quand il doit rebrousser chemin, ou emprunter des voies qu’il a jusque là judicieusement évitées. Il se considère menacé, en danger et déploie tous les moyens pour se préserver d’un changement qu’il estime préjudiciable. Au même titre qu’une main évite le feu, l’esprit s’emploie « à éviter » ce qu’il considère vraiment comme une mise en péril » (épisode 3 – Désapprendre)

De plus en plus écartelé entre la réalité de notre quotidien et la réalité que dévoile la méditation, l’esprit pour se protéger refusera naturellement toujours de scier la branche sur laquelle il est assis.

Quand les connaissances acquises au cours des méditations taillent en brèches les fondements de l’esprit, les difficultés atteignent alors leur paroxysme. S’engage alors un combat entre l’ombre et la lumière, entre la réalité et l’idée qu’on s’en fait, un combat épuisant à l’issue certaine, car comme le disait Sayadaw, « à la longue, l’inconscient est toujours le plus fort ». Mais l’issue de ce combat importe peu, seule la connaissance (acquise sur le Chemin) prime. Une connaissance qui émerge indistinctement de toutes les expériences, et c‘est pourquoi je dirai souvent qu’il n’y a pas de différence entre les expériences faciles ou difficiles, agréables ou désagréables.

39 jours

11h30

Les bonnes comme les mauvaises expériences sont les « deux faces de la même pièce », voilà ce que je découvre. La seule façon de les voir, c’est d’être au cœur de leur nature. Voila où se situe le chemin de la libération.

16H10

La liberté s’écrit à l’envers.

Je m’attendais à une révélation fulgurante, un flash de compréhension immédiate. Mais pour l’instant, la liberté me montre surtout ce qu’elle n’est pas, où elle n’est pas. Voilà pourquoi je dis qu’elle s’écrit à l’envers. En même temps, je ne crois pas qu’un concept puisse rendre compte de ce qu’est la libération, et du coup je comprends mieux la façon dont s’écrit le chemin de la libération.

Ma compréhension est balbutiante et encore fragile. D’ailleurs, je ressens toujours cette intensité thoracique et cette respiration toujours haletante, qui deviennent presque une obsession pour un esprit angoissé. Un nouvel obstacle à dépasser ! Heureusement le fond est dense et plus ou moins équilibré, l’équanimité fait son œuvre.

22h00 sortie d’interview avec Sayadaw

(Suite à l’une de mes questions) Sayadaw m’a dit de faire attention à ne pas blesser mon esprit, plutôt que de trop m’intéresser aux sensations thoraciques qui seraient le signe d’une souillure. L’approche de certaines limites crée, selon lui, une sorte de conflit avec lequel il faut que je sois très méticuleux.

Concernant une autre question, il a rappelé que l’esprit ne doit pas être en conflit avec l’inconscient, car à la longue, l’inconscient est toujours plus fort. A cet instant, je vais toujours très bien mais je sens pointer une petite inquiétude. Il est probable que la sortie au café internet aie coupé quelques ressources nécessaires au dépassement de ce conflit.

PREND SOIN DE TOI.

VAS-Y DOUCEMENT AVEC UNE TENDRE PROGRESSION

40 jours

10h00

Le chat retombe sur ses pattes ! J Mais surtout, il me faut reconnaitre que j’ai atteint et dépassé une limite, celle qui a abouti au conflit entre connaissance et résistance à la connaissance. En effet, l’esprit se protège (me protège) en résistant à une connaissance contraire au sens même de son existence.

« Quoi qu’il en soit, je vivais avec une très grande intensité (et le souffle court) ce Moi changeant d’instant en instant, jamais identique. Je vivais l’impermanence de toute chose comme du Moi, je la comprenais autrement qu’intellectuellement, je la voyais et la saisissais d’une façon nouvelle» (épisode 8 – le grand désenvoutement) »

Malgré l’évidence de l’observation, l’esprit ne pouvait pas admettre son impermanence car ce serait comme admettre qu’il n’existait pas.

Cette connaissance, celle ou tout se dissout et se réécrit d’instant en instant sape l’assise de l’esprit.

La méditation montre que les choses changent constamment, d’instant en instant, emportées par le flot des passions. C’est un constat que l’esprit refusait de faire, préférant s’attacher à l’illusion de son unité et de sa toute puissance. L’esprit refusait de se « dissoudre» dans cette connaissance car sa nature est d’affirmer son existence autonome, notre existence. Il ne pouvait pas dire «  je n’existe pas », sinon il sciait la branche sur laquelle il était assis. Et il le refusait très fort.

En nourrissant l’intention de voir encore, j’ai nourri ce conflit et enfermé (ensemble) connaissance et résistance. Du coup, après la méditation, les deux se retrouvent intimement combinés, stimulant d’autant plus le conflit. Bien sur, ceci est une explication à posteriori, une explication et non une vérité absolue. Mais cette explication recoupe tous les éléments présents : tension, souffle haletant , intensité et joie de la connaissance. Les opposés « mariés sous la lumière ». En désirant revivre plusieurs fois cette expérience de l’impermanence, j’ai surtout oublié de PRATIQUER AVEC SIMPLICITÉ, PATIENCE ET ÉQUANIMITÉ.

L’équanimité est ce regard sous lequel les choses apparaissent de façon équivalente, avec le même relief et la même importance. Il s’agit d’un détachement emprunt d’une grande sérénité, et non d’indifférence. Le développement de l’équanimité n’est pas guidé par l’intention, mais plutôt par le non-agir et l’accueil serein de tout ce qui se présente. Tout comme « la pulpe tombe naturellement au fond du verre», l’esprit s’apaise et se pose de la façon qui lui convient le mieux. Ensuite, une grande clarté apparait, une sensation extrême de légèreté.

LAISSER LES CHOSES SE DÉVOILER ET NON ŒUVRER AVEC INTENTION

Il me faut désormais retourner au plus simple : JUSTE OBSERVE

Ce matin, je sens encore la présence de ce conflit comme une présence tapie dans l’ombre mais dont on ne perçoit que les mouvements. Angoisse et tension s’affaiblissent et je retrouve le gout de la simplicité. Cette simplicité qui met en avant la qualité des progrès et cette vérité qu’à trop chercher j’ai dépassé. A force de trop chercher l’abeille, j’ai raté la ruche.

Et pour finir, il me faut peut être reconnaître que j’apprends beaucoup plus dans la difficulté, ce qui semble être une caractéristique très personnelle.

20h00

Le chat retombe sur ses pattes et rebondit ! Le développement de l’équanimité  a « renversé » la situation. En effet plutôt que de me focaliser sur un conflit qui se refuse obstinément à l’examen, avec le développement de l’équanimité et en lâchant prise « j’offre» au conflit un plus grand espace réduisant ainsi l’intensité des forces en opposition. Cela a pour effet de baisser très sérieusement la tension.

C’était comme si l’horizon s’était soudainement élargi, laissant encore plus d’espace entre les objets (pensées, sensations, ..) et diminuant l’implication personnelle lors de leur examen, provoquant une certaine distanciation, mais pas de l’indifférence car toutes les sensations et émotions étaient présentes. Et pour confirmer qu’il ne s’agissait pas d’indifférence ni d’un recul impersonnel, je me rappelle qu’au cours de toute cette après-midi  j’avais regardé de face une colère rouge et « affronté » avec patience les incessantes répliques de celui qui pouvait être mon meilleur ennemi : Moi-même.

J’avais du regret à comprendre si tard l’importance de l’équanimité sur le chemin de la libération. Quand je parle de méditation, je parle d’un regard panoramique et détaillé des conditions du monde et du rapport que j’entretiens avec lui. Quant à l’équanimité (ce détachement serein), elle est le résultat de la méditation. Je regrettais de m’être (parfois, souvent ?) fourvoyé en devenant un chercheur ambitieux plutôt qu’un observateur humble.

LA VÉRITÉ S’OFFRE A CEUX QUI S’Y OUVRENT PLUTÔT QU’A CEUX QUI LA CHERCHENT.

Laisser la vérité se révéler ?

La suite au prochain épisode …

 

 

 

 

 

 

 

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