Episode 10 – comment la vérité s’installe

Lors de cette aventure immobile, combien d’obstacles ai-je rencontré ? Combien de difficultés ai-je donc dépassé ? Combien d’extases ai-je dû abandonner ? C’est à la mesure de ces questions que je me rends compte du chemin parcouru.

Le « trajet méditatif » était sinueux, la progression se faisait en dents de scie et je commençais à ressentir les prémices d’une certaine fatigue. Mais déjà cette aventure m’avait enrichi au delà de tous mes espoirs, elle m’avait poussé au delà de limites dont j’ignorais jusqu’à l’existence ; mon horizon embrassait alors les champs d’un savoir inespéré, où se cultivaient les fleurs de la liberté. Chaque instant était la source d’une richesse si grande que je ne savais plus où porter mon regard, j’étais littéralement assailli par la foule de tous les savoirs. Parfois même débordé ! J’aurais voulu emporter avec moi chacun de ces trésors, m’arrêter là et profiter, mais j’ai préféré suivre plus loin la course de ces instants incroyables et remonter jusqu’à leur source unique.

A l’approche de cette source, cette aventure se dénudait et laissait apparaitre le corps nu et fragile d’une vérité. Une vérité sans nom pour la cerner, une vérité silencieuse et essentielle, mais dont la présence ne faisait aucun doute.

Rappel : les extraits de mon carnet de méditation sont écrits en noir et en italique.

41 jours

11h30

Comme le dit Claude François : « Ca repart et ça revient ». Bon ! Disons plutôt que ce matin ça a sévèrement tabassé coté colère et agitation. Etats d’esprits renforcés par une faible vigilance . Malgré les passages de la joie à la colère, de la colère à la joie, l’équanimité (*) préserve mon équilibre, mais il est nécessaire de fournir un grand effort en terme de vigilance. Laisser les choses se « déposer » (comme la pulpe tombe au fond), cela sous entend d’abord de les laisser s’agiter à leur gré jusqu’à l’épuisement des causes (de leur agitation). Cette dernière remarque est très importante, je me souviens qu’elle provient d’écrits d’Ajahn Chah (Un grand maitre Thaïlandais).

* L’équanimité est ce regard sous lequel les choses apparaissent de façon équivalente, avec le même relief et la même importance. Il s’agit d’un détachement emprunt d’une grande sérénité, et non d’indifférence.

Comme un film revu 1000 fois, la répétition et la compréhension des expériences au cours de la méditation finit par « vider » ces mêmes expériences de leur attrait et donc de leur capacité à générer de l’agitation. C’est ce qu’on peut comprendre par « l’épuisement des causes ». Plus précisément, la présentation successive des mêmes caractères de l’expérience (la re-présentation) et l’affrontement du vide « détachent et guérissent » du lien affectif que l’on tisse avec elles, on pourrait parler comme en psychanalyse de guérison narcissique.

16h00

Quelle aventure ! On reprend tout depuis le début !

Au cours des premières semaines le progrès et l’extase étaient à leurs combles. Il semblerait ensuite que j’ai rencontré de véritables difficultés : apparition de très grandes colères, épisode de la photo – carnet du méditant épisode 7– ,  la naissance d’un conflit – carnet du méditant épisode 9

Je crois que cette progression rapide suivie de difficultés a provoqué chez moi une PROFONDE ET SOUS-JACENTE AVERSION POUR LA NATURE DE MON ESPRIT. Je crois que je me suis glorifié des premières réussites, et les difficultés rencontrées par la suite ont fait germer une profonde frustration et  certain rejet pour cette nature faible, avide, résistante et impressionnable.

Mais Je n’avais pas compris que cette faiblesse EST AUSSI LA FORCE MÊME DE CET ESPRIT HUMAIN. Bien qu’elles ouvrent aussi la voie à de grandes souffrances, ces failles font de nous ce que nous sommes. En laissant aussi entrer la lumière du sens,  elles permettent également à l’esprit de se libérer. Je crois que plus je m’approchais de cette nature, plus l’aversion était sournoise et forte, et le désenchantement pénible. Mais s’approcher de sa nature, c’est être mieux à même de l’aimer et l’accepter pour ce qu’elle est et non pour ce qu’on voudrait qu’elle soit. C’est la seule façon de s’aimer et non de s’idolâtrer.

Je crois qu’aujourd’hui, cette aventure dévoile et réalise un de ces buts : m’accepter et m’aimer tel que je suis. Il m’aura fallu bien du courage pour le reconnaitre et mener ce projet jusque là. Mais il me faut d’abord me pardonner pour le violent mépris que je me suis porté ces derniers jours. Car il n’est pas possible de continuer cette aventure si elle mène au rejet de soi.

Il  me faudrait aussi présenter mes excuses à tous ceux que j’ai offensé en exigeant d’eux autre chose que leur propre nature et il me faut aussi pardonner ceux qui m’ont blessé parce qu’ils ne comprenaient pas la mienne.

Chaque jour me réserve de nouvelles surprises. Je finis par croire que la vérité se dévoile d’étapes en étapes, et de façon inattendue.

19h00

Journée dense ! Bonne usure du cervelet.

I LOVE YOU LIKE YOU ARE J (je t’aime comme tu es).

PS1 :

Il est bon de rappeler qu’il n’y a pas de différences entre les bonnes et les mauvaises expériences, toutes rejoignent la même vérité, ce sont simplement les 2 faces de la même pièce.

Le plus riche enseignement n’est pas toujours celui qu’on croit.

Les difficultés d’un jour peuvent être les réussites d’un autre, et inversement. C’est aussi sous entendu par l’expression FAIS CONFIANCE AU CHEMIN EMPRUNTE PLUTOT QU’A CE QU’EN DIT L’ESPRIT (TRUST THE WAY, NOT THE MIND).

PS2 :

Quelque soit l’angle de vue, le constat est toujours le même : la vérité est ici (au creux de chaque expérience). La pratique est une façon de vérifier la pertinence des connaissances, puisque tous les chemins méditatifs mènent au cœur de cette même vérité.

PS4 :

En me montrant là où elle n’est pas, la vérité dessine tous les possibles sans en exclure aucun. Libre à toi d’emprunter celui que tu veux, mais chacun de tes pas se fera à la lumière de la connaissance, faisant de toi l’héritier de tes propres actes.

Rappel épisode 9 – Le conflit

La liberté s’écrit à l’envers.

Je m’attendais à une révélation fulgurante, un flash de compréhension immédiate. Mais pour l’instant, la liberté me montre surtout ce qu’elle n’est pas, où elle n’est pas. Voilà pourquoi je dis qu’elle s’écrit à l’envers. Je ne crois pas qu’un concept puisse rendre compte de ce qu’est la libération.

PS5 :

Le cerveau a eu sa dose pour aujourd’hui !

42 jours

19h15 Un travail de Titan

Je crois que depuis 4 jours, j’ai vraiment investi beaucoup d’efforts pour dénouer la situation conflictuelle dans laquelle je me trouvais. Et bien le dénouement a eu lieu aujourd’hui, mais non sans un signe de fatigue qui m’a quelque peu inquiété. Hier, à partir de 18h00, le cerveau était Hors Service, c’est-à-dire incapable de mener une attention soutenue, ni de lâcher prise ou encore d’effectuer un retour au calme. Aujourd’hui, c’est à partir de 16h00 que ce phénomène à lieu. Une sorte de « remise à zéro » (de « reset ») au cours duquel l’esprit n’est plus en mesure d’étudier, de postuler ; c’est le corps qui portait l’esprit et non l’inverse. Peut être a-t-il atteint certaines limites ? A cet instant, je me sens bien mais l’esprit n’est pas disposé à travailler… enfin, c’est relatif puisque depuis 2 heures je lis un recueil de textes anciens ( Majjhima Nikaya).

Déjà hier, je commençais à ressentir les bénéfices du développement de l’équanimité. Cela s’est confirmé aujourd’hui en 2 étapes :

1ère étape : le matin

Ce matin, l’équanimité m’a permis de gérer un réveil en tension, mais surtout d’intéresser très fortement l’esprit à cette situation. J’ai d’abord pu observer au cours des méditations l’apparition d’une tension abdominale très localisée, suivie d’une autre tension thoracique oppressante, provoquant un rythme respiratoire court et accéléré.

Quand ces manifestations corporelles du conflit sont saisies par l’esprit, apparait une sensation désagréable  puis de l’aversion pour ces manifestations. J’ai pu investiguer chacun des mouvements décrits, comprenant parfois mieux la souffrance née de « la proximité de ce que l’on n’aime pas ».

2ème étape : l’après-midi

J’ai pu investiguer avec plus de précision encore, la succession de tous les ressentis et les phénomènes physiques associés, jouant même sur chacun d’eux comme on défait un casse-tête. Cela a presque suffi au dénouement (au sens d’« enlever les nœuds ») mais j’ai surtout pu mettre un nom sur ce qui me sautait aux yeux : L’ANGOISSE.

La connaissance apportée par la méditation n’est pas intellectuelle, elle dépasse ici par exemple tous les concepts que j’aurai pu utiliser pour nommer « l’angoisse ». Car le mot simple d’angoisse est une réduction à l’extrême de ce qu’est réellement l’angoisse, au point de ne plus avoir de rapport avec ce qu’elle est. Et c’est cette connaissance simple et universelle (et non mystique) que la méditation révèle dans des domaines plus complexes comme l’idée de soi, les passions, la liberté.

En redécouvrant le sens réel de ces manifestations, je prenais conscience du gouffre qui sépare les sensations d’angoisse et l’idée de l’angoisse, qui sépare « la chose » du « mot qui l’appelle ».

Comme je l’ai déjà dit, c’est au creux de cette dualité – entre la réalité et l’idée qu’on s’en fait – que vient se placer la lumière de la méditation, laissant la vérité se révéler, « une vérité sans mot nom pour la cerner, une vérité silencieuse et essentielle, mais dont la présence ne fait aucun doute ». Et ce creux, parfois appelé vacuité,  présent au cœur de toutes les choses, n’est pas un grand vide mais un espace riche de sens et où la connaissance devient aussi intuitive qu’une respiration.

C’est en écrivant ces mots que je découvre une façon d’illustrer ce que j’entends par connaissance : un sens vivant, animé, où toutes les intrications apparaissent et où aucun mot n’est nécessaire pour les comprendre.

Je crois que je comprends enfin comment se sont développées et acquises ces connaissances au cours de mon séjour ici :

Les premières semaines, j’ai remarqué une diminution progressive de l’intensité des expériences (fabuleuses). Puis, de façon de plus en plus rapprochées, se sont présentées bonnes et « mauvaises » expériences (par « mauvaises » j’entends difficiles et désagréables). Maintenant, depuis les grands efforts de ces derniers jours, je comprends qu’il n’y a en fait aucune différence entre les mauvaises et les bonnes expériences, ce sont les 2 faces de la même pièce. Et c’est cette compréhension qui mène à la libération, car ainsi l’esprit n’est plus totalement conditionnés ou prisonnier des expériences des sens.

Cette vérité silencieuse s’écrit à l’envers en disant ce qu’elle n’est pas, et par son silence, elle me montre à quel point nous sommes prisonniers des bruits du monde. Abasourdi par ce vacarme et plongé dans une confusion sans limite, nous courons à la conquête d’un désir insatiable.

C’est pourquoi l’équanimité, en cultivant un détachement serein, est si importante à la progression. Elle permet d’accueillir toutes les expériences avec le même regard juste, préférant les laisser dévoiler leur nature. Ce détachement est indispensable car lui seul permet de voir « le tableau » dans son ensemble, d’entendre enfin le bruit du silence.

Avec le détachement de l’équanimité, il n’y a aucune différence entre les expériences car aucune ne peut être vécue comme « mon expérience ». En fait, quelque soient les expériences, elles sont vides tant qu’on ne les a pas saisies comme Moi, Miennes. C’est ce vide qui est la vérité menant à la libération. Un vide qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien (comme une défaite de la vie, un nihilisme) mais un vide riche de sens. Et on l’appelle « vide » car il est dépourvu de toute projection de soi, pourtant il contient tout.

Voilà comment m’apparait la vérité du monde, quand toutes les causes sont épuisées. Quand la faim insatiable de l’égo s’estompe. Quand il n’y a plus ni bonnes, ni mauvaises expériences, mais juste une expérience.

Je n’écris pas ces mots sous l’emprise de l’extase, ni en ayant le sentiment de vivre une chose exceptionnelle. C’est un moment presque banal, ou plutôt tellement naturel, une connaissance aussi naturelle et discrète qu’une respiration.

Mon carnet est presque terminé, mon séjour aussi, mais j’ai décidé de croire chaque jour en l’impossible et surtout de ne pas stopper mes efforts. Je me demande avec quels mots je finirai ce carnet ?

 

La suite au prochain épisode

Cette entrée a été publiée dans Carnet du méditant. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Episode 10 – comment la vérité s’installe

  1. Ping : Episode 11 – Au delà de la fatigue | guithera

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *