Ce que je n’ai pas dit – Qu’observe t’on pendant la méditation ?

La méditation cherche à examiner les causes et les phénomènes qui nous permettent de dire « ceci est Moi », « ceci est mon Moi », « ceci est à Moi » afin de montrer de quelle manière se joue et se construit le Moi.

Elle a comme objectif principal de révéler les erreurs de compréhension, de lever les voiles de notre ignorance et les souffrances qu’ils engendrent. Car il ne fait aucun doute que l’esprit ne rend pas compte fidèlement des caractéristiques de la réalité, nous plongeant parfois dans des impasses douloureuses. La connaissance née de l’observation devient donc la seul clef pour échapper aux souffrances de l’ignorance.

C’est pour cette unique raison que l’observation justifie de déployer autant d’efforts pour comprendre le lieu autour duquel tout s’articule, le lieu de toutes les souffrances : le Moi.

L’observation révèle que le sentiment de notre individualité se construit autour de 5 expériences fondamentales, qui nous poussent à dire « ceci est Moi », « ceci est mon Moi », « ceci est à Moi». Pourtant aucune de ces expériences ne renferme le cœur de notre existence individuelle, aucune ne renferme l’essence du Moi. Pas d’âme à l’horizon, juste des expériences :

1. L’expérience de la matière : « il y a le corps physique »

Il y a la matière physique de mon corps. Je fais l’expérience de sa dureté, de sa chaleur, de son mouvement, de sa cohésion.

Mais ce corps est surtout un amas de chair, de sang, d’os, de muscles, … qui plonge chaque jour vers la vieillesse. Si ce corps était moi, comment pourrais-je survivre à l’amputation accidentelle d’une de ses parties. Si il était vraiment mien, je pourrai choisir de ne pas vieillir, de ne pas tomber malade, ou bien qu’il ait une autre forme. Cette matière ne peut pas être le Moi. Majjhima Nikaya – n°35 Culasaccakasutta

2. L’expérience des sensations : « il y a les sensations »

Il y a les sensations, agréables, désagréables, qui naissent du contact avec nos sens. Par exemple un son frappe l’oreille et provoque une sensation agréable.

Mais ces sensations sont conditionnées à l’environnement qui les fait naître, changeantes aux grès des situations. Elles ne tarderont pas à disparaitre, emmenant avec elles la certitude du Moi qu’elles avaient pourtant étayées. Impermanentes et conditionnées- ce qui est agréable aujourd’hui ne le sera pas forcément demain -, elles ne soulignent aucun caractère stable, essentiel ou individuel. Ces sensations ne peuvent pas être le Moi.

3. L’expérience de la conscience discriminante : «  je sais qu’il y a »

Il y a la « conscience discriminante », ce mouvement de l’attention qui reconnait la présence d’un objet sans pour autant l’identifier. Quand un bruit frappe mon oreille il naît alors une conscience auditive : je sais qu’il y a un bruit. Cet acte d’attention nous place dans une perspective d’un « connaisseur » (le JE) et d’un « objet à connaitre » (le BRUIT)  (JE prends conscience d’UN BRUIT). Elle sépare ce qui est Moi de ce qui n’est pas Moi. Cette conscience me fait dire que Je suis, ou que ce « connaisseur » est mon Moi. C’est la « connaissance qui divise », il y a Moi et le reste du monde, appelée aussi « perspective dualiste ».

Mais ce type de conscience se limite aux conditions qui la font naître, ainsi il n’y a pas de conscience sans présence d’objet de cette conscience ; par exemple, il n’y a pas de conscience auditive sans bruit. Pourtant même quand ce bruit et la conscience auditive disparaissent, le sentiment du Moi perdure. Cette forme d’attention ne peut donc pas être ce fameux Moi immuable.

4. L’expérience des perceptions : « je sais ce qu’il y a », « je sais quel objet il y a »

Il y a les perceptions qui nous permettent de reconnaitre un phénomène, de l’associer à un phénomène ancien connu et de le nommer. Par exemple, ce son grave mono tonal de grande fréquence est celui d’une abeille. Je peux l’identifier et le nommer. Cette perception intuitive reconnait un phénomène particulier (ce son par exemple), l’associe à un phénomène déjà connu (une abeille) et permet de l’identifier (« le son d’une abeille »). Ainsi, à chaque nouvelle perception, ce processus nourrit et interroge à la fois le fond de nos expériences passées et leurs représentations. Dès lors, s’il est possible d’identifier, c’est qu’il y a surement un Moi qui perçoit et  qui nomme.

Mais les représentations que nous avons de nos expériences passées varient au cours de notre vie, et ce son pourrait très bien être, demain, celui que j’associerai au vibreur de mon téléphone.

De plus, en tissant un lien entre un phénomène passé et un phénomène présent, cette « connaissance qui associe » crée l’impression de durée entre ces deux instants, là où l’observation (pendant la méditation) ne montre qu’une succession d’instants.

Enfin, ces perceptions sont dépendantes des conditions qui les font naitre, et le sentiment du Moi perdure même en leur absence. Ces perceptions ne peuvent donc pas être non plus ce fameux Moi.

5. L’expérience des constructions mentales : « je pense », « j’anticipe » « j’élabore »

Les constructions mentales – pensées, conceptualisation, planification-  constituent la plus grande partie des processus mentaux. Ces constructions mentales ont la capacité de créer d’autres formations mentales par assemblage. Par exemple, 2 pensées peuvent s’associer afin de former une troisième pensée différente. Les pensées ont la capacité de fabriquer indéfiniment d’autres pensées, c’est pourquoi on parle parfois de « fabrications fabricantes ».

En s’appuyant sur les expériences du passé, ces formations « habillent, colorent et donnent un sens, une tonalité particulière» à toutes les expériences du présent. Influencées par l’avidité (j’aime donc je m’en saisis), l’aversion (je n’aime pas donc je rejette), l’indifférence (j’ignore donc je délaisse), elles sont la référence à partir de laquelle nos actions sont engendrées : agir, parler, penser. Par exemple, la son de cette abeille me rappelle la douleur d’une piqure ancienne, je préfère alors l’écraser avec mon pied, ou bien, le son de cette abeille me rappelle le bon gout du miel, je préfère la préserver en la faisant sortir doucement.

Ces formations sont uniquement liées à l’idée que nous nous faisons de nous même (« idée de soi » dont chacun peut mesurer à quel point elle varie au fil du temps et des expériences).  En construisant notre vision de l’existence à partir des éléments conditionnants du passé, ces constructions mentales guident notre façon d’être et d’agir d’instant en instant, elles influencent nos choix et nos réflexions. J’agis selon l’idée que j’ai de mon Moi.

Mais ces constructions mentales se limitent elles aussi aux conditions qui les font naître, et le sentiment du Moi perdure malgré leur inconstance ou leur absence. Elles ne peuvent donc pas être ce fameux Moi.

Ces 5 types d’expériences, en s’agrégeant et en interagissant, participent à la construction de notre individualité : elles nous font dire « ceci est moi »,  « ceci est mien », « ceci est mon Moi ». Mais l’observation révèle que nous sommes un agrégat d’éléments physiques et de processus mentaux, perpétuellement soumis au changement, dépendant des conditions présentes et passées. Nous sommes un processus, un mouvement, une dynamique.

Pourtant chaque fois que nous nous regardons dans un miroir, nous voyons une entité à part entière et figée, un être sur de sa constance. Mais comment expliquer la différence entre cette certitude d’être et ce que montre une simple observation ? Seul l’esprit est à même de réaliser ce tour de magie : il rassemble ce qui est multiple pour ne faire qu’Un, troquant la réalité mouvante contre l’illusion de l’unité stable.

De là, découlent au moins deux conséquences pratiques :

Tout d’abord, si nous sommes pris dans les pièges de notre propre esprit, soumis aux lois de son illusion, la clef de notre libération réside dans notre capacité à nous en rendre compte – avec l’observation il devient  possible de déjouer le piège en comprenant comment il se noue – OBSERVER POUR COMPRENDRE

Ensuite, nous pouvons faire à chaque instant d’autres choix que ceux que nous imposent ce conditionnement – CHOISIR LIBREMENT

Mais cette liberté philosophique ne serait rien si elle ignorait la souffrance dans laquelle l’esprit peut nous enfermer, elle n’aurait aucun sens si elle ne disait pas qu’on peut s’en libérer.

Comment ?

En comprenant, qu’il n’est plus possible de dire « ceci est mien », « ceci est Moi », « ceci est mon Moi »

Carnet du méditant – Épisode 13 – Les derniers pas (extrait)

L’esprit est constamment changeant, capable à chaque instant de sauter d’un extrême à l’autre tout en maintenant l’illusion d’une identité stable et permanente, l’illusion de la continuité. Il ne fait pour moi plus aucun doute que la vie n’est qu’une succession de tranche d’instants si proches les uns des autres qu’on ne peut croire qu’en leur unité, tout comme un film n’est qu’une succession rapide d’images.

La vie est un long fleuve d’intranquilité dont le courant suit le fil des passions. La méditation a apaisé ces passions et m’a permis de porter un regard neuf et plus vaste. Alors quand je me regarde dans ce miroir, je ne célèbre plus la toute puissance de mon égo mais je vois un reflet changeant d’instant en instant. La magie du MOI n’opère plus et ce reflet sans substance ne me convainc plus. La désillusion fut parfois douloureuse, mais cette difficulté semble bien dérisoire quand les voiles tombent et que la lumière entre enfin.

Pour progresser sur la voie de la méditation, j’ai souvent dit qu’il fallait se porter au delà de soi, mais il s’agit finalement peut-être de voir simplement ce reflet pour ce qu’il est, et de porter enfin son regard au delà de ce miroir qui m’a si longtemps subjugué

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